Eh bien, nous voilà déjà longtemps
après, le soleil et la terre ont dansé la javanaise au moins dix
fois, ne m'en déplaise, et moi pendant ce temps, j'ai l'impression
de n'avoir fait que courir, courir autour de la salle de bal, courir
après des ombres, des fantômes, en attrapant quelquefois dans ma
main des impressions, réussissant à leur parler quelques secondes
avant qu'elles ne s'évanouissent.
Mais je voulais te raconter les
derniers concerts, Concarneau et Queven, la Bretagne offerte, sûre
de ses charmes, la joie que j'ai eu à ouvrir la scène pour
l'épatante Jeanne Cherhal, et sa chanson de Noxolo qui me poursuit,
Noxolo la tête collée à la vitre, son amoureuse souriante, et les
voisins rôdant dans l'ombre, la torche de la haine allumée. Je
voulais te raconter les chansons déroulées à cœur ouvert dans
cette salle si sage et si tendre, tendre comme quand on coupe la
viande, tendre et animale, un peu. Je voulais te raconter la mer qui
chantait aux portes de la salle, et juste avant de jouer j'avais
couru dehors sous la petite pluie, et j'avais trempé mes mains dans
l'eau salée pour les lécher. Je voulais te raconter ce concert,
comme un long baiser. Je voulais te raconter aussi les promenades
dans la ville close, la mer partout, comme si tout le monde avait
pleuré pour Noxolo pendant la nuit, et le soleil qui s'en foutait
royalement, étalé, premiers frissons en terrasse, promeneurs
paressant dans la ville, et les bateaux qui attendaient, transis, de
partir, déjà lassés du port.
Je voulais te raconter aussi Queven, te
raconter ce concert comme une bataille traversée en ayant jeté les
armes et l'armure, les yeux pleins de défi et d'une tristesse
infinie, te raconter l'accueil des Arcs placés comme des bras, et
tout le public ouvrant les siens dès les premières notes, dans
cette grande salle, huit cent personnes qui auraient pu me tuer d'un
coup, et qui m'ont laissée passer et accueillie au milieu d'eux,
avec mes questions, mes drôles de créatures, ma rivière de désirs
étalée comme un collier, et cette blessure, ouverte. J'avais été
pleurer comme une enfant punie, quelques minutes avant d'entrer en
scène, dans les énormes seins de Rose, la cuisinière étonnée de
me trouver là, reniflant dans son tablier, j'aurais voulu te
raconter pourquoi, et pourquoi j'ai choisi de suivre l'encre de mes
bras, et d'aller comme elle briller ou couler, toutes épées jetées
au sol, pour être plus légère dans la traversée, quoi qu'il
arrive. Je voudrais te raconter le concert de Vianney, qui aime tant
sa petite guitare avec toutes ces notes qui lui viennent et
l'éclairent, et qui a reconnu tout de suite la clarté étonnante de
la mienne, que je lui ai mise dans les bras avec empressement, pour
lui montrer comme elle a soif de jouer, comme elle fait apparaître
les plus vrais des mirages, comme dans cette nouvelle où les
passants s'arrêtent dans le désert pour voir ce mirage, qui
n'apparait que si on y croit, et qui dessine parmi la fumée la ville
qu'on préfère, celle qui nous manque, minarets, gratte ciels, tour
Effeil ou cheminées, moi je crois que si j'allais dans le désert je
verrais ma guitare magique, ma guitare adorée. Je voudrais te
raconter comme c'était devenu important pour moi d'ouvrir cette
soirée, de poser les blessures, de croire qu'on pouvait se parler
vraiment, et de dire qui j'étais, les notes et les mots enlevant les
masques comme de minuscules animaux grignoteurs. Merci pour ces
concerts, Queven , Concarneau, merci de m'avoir accueillie, merci
pour la mer, les confidences, ce long baiser de concert qui reste
collé à moi, et cette bataille qui n'était rien d'autre qu'une
traversée, offerte, comme dans ces contes où le héros panique
avant de comprendre que la sirène qui l'emmène ne le noie pas, mais
lui montre qu'il sait respirer sous l'eau. Merci .
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