Un soir, il
 y a quelques années, en me promenant le nez au vent devant un 
concert organisé par les Inrocks à l'Olympia, j'avais attrapé une place
 en vol,  et j'étais entrée dans la salle avec une amie, j'avais sorti 
les yeux de mes poches pour les écarquiller au même rythme que mes 
oreilles devant Devendra Banhart, Brisa Roché, les Artics Monkeys, les 
Editors, et Anthony and the Johnsons.
C'était entre deux 
chansons de Devendra Banhart que ça s'est passé. Je me souviens des 
frissons et je me souviens que sa musique a toujours sonné comme une 
maison familière, une maison que j'aurais longtemps cherché. Alors entre
 deux frissons, comme pour me reposer, et parce que mon amie était très 
jolie, je disais des conneries. C'est pour ça que ça s'est passé comme 
ça: j'ai vu quelqu'un lever la main dans le public, un peu au loin, et 
j'ai compris que le chanteur avait 
proposé à quelqu'un de monter sur scène. J'ai du avoir un quart de 
seconde pour me traiter de triple idiote ou de quoi que ce soit que 
j'avais en triple dans ma réserve d'insultes personnelles, de pas avoir 
été attentive à ce moment précis, quand la main s'est baissée. J'ai pas 
pris le temps d'inverser mes insultes, je me souviens juste m'être jetée
 dans mon bras, un peu comme si l'air avait manqué, me jeter dans mon 
bras et le jeter lui en l'air, voilà. 
Alors comme on me faisait 
signe de monter sur scène, comme j'escaladais cette idiote barrière de 
sécurité avec la robe en soie trop longue que j'avais mis ce jour là, 
moitié dégoulinant, moitié l'escaladant, empêtrée dans ma robe et mon 
rire, je pensais "quelle chance, je vais passer un moment à partager la 
musique avec eux", je pensais que j'étais invitée à faire des 
percussions derrière, quelque chose de rigolo comme ça, et que vite on 
allait s'apercevoir que j'avais un sens du rythme fluctuant, mais que je
 compenserai en étant tellement, tellement heureuse de faire ça, mal 
taper sur un tambourin.
Quand je suis arrivée avec mon sourire 
et ma robe enfin ramassée, quand je suis arrivée devant lui, il m'a 
tendu ma guitare et j'ai tout compris d'un coup. Que j'avais été une 
mauvaise élève qui n'écoute rien de la leçon mais qui par magie la sait 
quand même. Alors avec le grand sourire des mauvais élèves qui sont 
souvent sauvés, et de façon bien plus belle que s'ils avaient rempli 
l'exercice, j'ai remercié bien bas, j'ai pris la guitare, magnifique 
guitare contre moi , et j'ai joué un morceau. 
On m'avait demandé
 mon nom. J'ai dit que mon prénom, c'était Camille. Je n'avais pas 
d'idée même de faire de ces rivières un métier, je n'avais d'idée pour 
rien, je me laissais un peu porter le temps de rassembler le courage, il
 faudrait quelques années encore. Alors j'ai dit mon nom et j'ai joué ma
 chanson. C'était une petite chanson qui trainait dans ma tête, un petit
 morceau de Lilt, le duo que je fais avec une amie et dont je te 
parlerai plus tard, promis, une petite chanson même pas finie qui 
trainait là dans ma tête. 
Je me souviens qu'en cours de chanson 
j'ai pensé qu'il n'y avait pas de fin à cette route, puisque la chanson 
n'était pas du tout finie d'écrire ni de composer, et je rigolais 
tellement intérieurement de me voir là sur la scène de l'Olympia, à 
conduire ma moto à 200 à l'heure avec pas de fin à la route.
Alors
 quand la dernière phrase écrite s'est approchée, je l'ai dite à toute 
vitesse et puis j'ai pilé là, et pris une grande respiration pour savoir
 quoi faire avec ce précipice qui venait ensuite.
Il n'y a même pas 
eu à réfléchir: les applaudissements ont éclaté comme une cascade, et 
voilà, et le temps de me jeter au cou de chaque musicien pour dire merci
 j'ai donc redégouliné dans le public et dans mes robes, et j'ai assisté
 tremblante à la fin du concert et hypnotisée à celui d'Anthony and The 
Johnsons. 
Je n'ai même pas pensé à aller gratter aux loges pour dire
 merci, je n'ai pensé à rien, j'ai pris mon amie par la main, traversé 
les gens qui me souriaient et me félicitaient, et j'ai ouvert la porte 
pour sortir. Dehors il y avait tout un cercle de gens qui attendaient, 
sans doute pour autre chose, mais quand ils m'ont vu, ils ont tous 
applaudi. Alors je suis partie dans cette ivresse là, d'avoir donné 
quelque chose avec toute l'évidence et la joie dont j'étais capable, et 
je me souviens, je me souviens bien, qu'on est rentrés chez moi 
titubantes.
Ensuite ça a pris quelques années, mais j'ai 
finalement dit d'accord, d'accord c'est ça mon métier, raconter des 
histoires, d'accord. Je voulais un nom pour faire ça, un nom qui soit 
déjà le mien. J'ai avoué cette histoire un peu, mais la voilà entière.
Un
 soir que j'étais dans cette période, de flotter en cherchant mon nom 
partout et comment le trouver, je me souviens que parce que j'avais du 
vague à l'âme, j'ai cherché quelque chose pour me consoler. et je me 
suis souvenue que sur deux-trois blogs il y avait des traces de ce 
moment. Alors je suis allée les relire , pour me souvenir des beaux 
moments secrets de la vie, et là c'est venu et c'était sûr, puisque tout
 le monde m'appelait "La Demoiselle inconnue", puisque c'était là, 
puisque c'était la première histoire de ma première vraie scène et de se
 donner entière au hasard et à la joie, alors d'accord, alors c'était 
mon nom. Et voilà comment mon nom était venu.
20 nov. 2015
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
 
 
 
 
 
 
 
 
2 commentaires:
Elles sont belles, les histoire de la demoiselle ex inconnue, même l'histoire de la guitare perdue.. pas pour tout le monde, mais qui se finit bien..
Qu'est-ce qu'on peut dire d'autre?
Encore...
Norbert Gabriel
Merci Demoiselle inconnue , quelle belle histoire ! qui fait d'un bras levé, un bras d'honneur à la tristesse ambiante .
Enregistrer un commentaire