19 nov. 2015

La bergère d'oubli

C'est la nuit
je marche sur les toits
je prends tous les cauchemars de la ville
qui sortent en se tordant des cheminées
je les tresse en un long bouquet
je suis un anti-père Noël.
J'ai mes longues jambes de vent
J'ai mes yeux qui ne se reposent pas
J'ai mes mains qui bougent plus vite que le chagrin.

Je marche sur les toits de la ville
j'enlève doucement les cauchemars
à la place je mets l'oubli
l'oubli comme cadeau
pour une nuit noire
pour croire qu'on n'a pas rêvé
pour faire un répit
Je sais qu'en offrant ça je donne aussi le matin
le sursaut de l'incroyable dégoût
et toute la remontée du chagrin
d'un chagrin trop grand pour un seul corps vivant.

Je les vois, le matin, assise sur la colline
le soleil qui rougit d'être encore là
la plupart du temps il préfère pleuvoir
ne pas se lever.
Le brouillard levé jusqu'au menton
NON, NON, NON, dit-il en secouant sa grosse tête de feu.
Et je vois tous les gens qui se réveillent
qui font semblant de n'être pas réveillés.
Qui ne se lèvent pas.
Qui ont les yeux ouverts et le corps immobile
comme leurs morts
mais eux sont vivants-vivants
et ils pensent à leurs morts immobiles
et la violence du chagrin inouï
les reprend comme un étrangleur

Moi sur la colline je surveille mon troupeau de cauchemars
ils sont agités
c'est normal
je dis tout doux, tout doux
je joue tout doucement de la flûte
certains se pelotonnent et se calment
d'autres ne feront jamais ça

Je suis celle qui marche sur les toits
j'ai mes grandes jambes de vent
je vole les cauchemars partout où je peux
pour offrir un répit
toutes les nuits, toutes les nuits
je les tresse en un bouquet
au matin je les libère sur la colline
ils s'éparpillent un peu
mais globalement ils sont terrorisés
et ils restent sans trop s'éloigner,
nerveux et tremblants

 pauvre, pauvre troupeau de cauchemars,
qui grossit, qui grossit, qui grossit

Je n'ai pas le coeur des hommes
je ne connais pas leur chagrin
et je ne peux pas l'enlever.
Mais mon rôle est de marcher sur les toits
de donner l'oubli pour quelques heures
et au matin, de garder mon troupeau de cauchemars
qui grossit, qui grossit, qui grossit.


Aucun commentaire: