que je suis heureuse de voir cette entrevue publiées sur le site de L'express Canada !
Ce sont les étudiants du cours de français Parlons Chanson, avec Dominique Denis, à Toronto, qui m'ont posé des questions sur ma chanson Les Pirates.
J'y ai répondu avec autant de sincérité que possible, et comme je suis un peu bavarde à l'écrit, ça débordait un peu de la taille prévue pour l'article.
Ils ont cependant réussi à garder l'essentiel - et puis je vous mets les réponses entières ci dessous, pour les curieux !!
On y parle entre autres de ma famille, de panneaux de signalisation, d'étonnement enfantin, et de policiers tous nus. (surtout dans la version longue !)
Voici le lien vers l'Express : cliclic
(et sous l'image, mes réponses entières)
cliclic pour lire l'article dans l'Express
et ci dessous mes réponses dépliées !
QUESTIONS
POUR CAMILLE HARDOUIN (LES
PIRATES)
Vous
avez grandi au sein d’une famille qui gravitait vers les domaines
scientifiques, mais vous aviez une imagination très libre et
aventureuse. Votre famille appréciait-elle la manière dont
s’exprimait votre liberté personnelle?
Il
me semble que cet esprit aventurier était dans la famille mais qu'il
s'est exprimé très différemment pour chacun ! C'est difficile de
savoir ce qu'il y a dans la tête de quelqu'un d'autre, mais c'est
sûr que cette tendance à aller voir de l'autre côté du rideau,
cette envie d'explorer et de raconter les choses sans tenir vraiment
compte des limites tracées au préalable, oui, ça a causé des
petits frottements, des incompréhensions. J'ai mis longtemps à
apprendre comment vivre avec cette soif et à en même temps être
avec les autres humains finalement! j'ai encore l'impression
d'apprendre, et cette impression bizarre de rencontrer enfin
quelqu'un ma planète quand je rencontre un artiste dont le travail
me parle.
Il
y avait assez peu de musique mais beaucoup d'histoires - dans les
livres ou dans les choses qu'on se racontait, et je me nourrissais
beaucoup de ça. Même si il y avait aussi, avec tous ces docteurs,
pas mal d' histoires de maladie ou d'opérations qui me faisaient
sortir de table en hurlant !
Je
savais que je devais prendre un chemin différent - pas seulement
parce que je ne supportais pas les histoires d'opérations ! Mais
parce que c'était la seule chose qui me paraissait faire sens à peu
près dans le monde; j'étais vraiment sûre que c'était par là
que je voulais aller, un endroit où je pouvais respirer et être un
peu moi-même, avoir moins l'impression de tout retenir, de faire
semblant. Je ne connaissais personne qui avait fait ça à ce moment
là et j'avais vraiment l'impression de partir à l'aventure ! Quand
on me demandait ce que je fichais dans la vie, je répondais qu'en
tout cas j'arrêtais de faire semblant de tout le reste. ça a été
ça, le début. Ma famille était un peu inquiète au départ mais
tout le monde a été aussi encourageant que possible dès qu'ils ont
un peu plus compris ce que je faisais, ce qui était aussi de mon
fait, parce que j'ai assez peu de gout pour les explications, et puis
que c'était assez inexplicable, au début, au sens propre du terme,
c'est à dire que je ne pouvais pas et quelque part ne voulais pas
formuler ce que j'allais faire.
En
tant qu’artiste qui travaille dans le domaine du théâtre pour
enfants, je me demande comment vous vous y prenez pour garder la
magie de l’enfance dans la création de vos chansons?
Merci
pour cette question qui abrite un compliment si lumineux !
Je
ne sais pas si je m'y prends d'une manière particulière, j'essaye
découter au mieux ce qui vient, de déjouer les filtres en quelque
sorte. C'est presque étrange de parler de ça car il faudrait
probablement plus de recul alors que j'ai l'impression de nager
complètement dans cet étonnement. je me sens curieuse de tout, y
compris de ce qui se passe à l'intérieur, j'ai sans cesse
l'impression d'être surprise, d'être émerveillée.
Je
passe beaucoup de temps à regarder les choses pour essayer de trier
ce qui me semble sonner faux, et à protéger et célébrer ce qui me
semble précieux, comme quelqu'un qui cognerait doucement des doigts
sur le mur pour voir s'il est en bois ou en toc.
Peut-être
que d'une certaine manière, j'écris sans me regarder, ou en
essayant de laisser ça le plus tranquille possible, en tout cas
Dans
mon expérience, ce n'est pas très raisonnable ni très décidé
d'écrire une chanson. D'ailleurs souvent ça vient complètement
dérouter ce qui était prévu dans ma journée! j'en suis toujours à
la fois déstabilisée et reconnaissante - c'est tellement intense et
intéressant de voir naitre et se dérouler quelque chose.
Dans
cette chanson, pourquoi avoir choisi de tutoyer le personnage du
policier, qui est a priori une figure d’autorité?
Justement
pour parler de l'humain tout nu sous l'uniforme !
C'est
une histoire que j'ai vraiment vécue, ce policier désorienté venu
interrompre un moment d'ivresse et de jeu, mais en écrivant la
chanson je me suis rendue compte que la figure du policier parlait si
fort parce qu'elle était aussi vraiment dans ma tête
la
voix qui parlait très fort en me disant "tu n'as pas le droit"
et que j'avais envie d'apprivoiser, ou de dérider en tout cas, au
moins un peu.
Pour
ça aussi je tutoie le policier : il est familier!
mais
également parce que dans la vie, je trouve ça très important, de
considérer que les gens en face de vous sont très proches, d'une
certaine manière.
Dans
toute la chanson on parle finalement des sentiments de ce policier.
Donc on est vraiment du côté de la créature qui vit quelque chose,
pas tellement du côté de l'uniforme ou de la rigidité de son
repassage.
Vous
avez écrit un jour que « faire
des bêtises, c’est important dans la vie ».
Pensez-vous que quand le policier de votre chanson était jeune, il
faisait lui aussi des bêtises? Que lui est-il arrivé après ça?
Elle
est très belle cette question parce qu'elle donne envie de regarder
comme une créature de sang et de chair et de souffle un personnage
de mot, de papier, une personne que je vois dans ma tête tous les
soirs quand je la chante, avec sa petite moustache et son air pincé
dans le train en plastique, mais dont j'imagine finalement très peu
la vie en dehors de sa chanson.
Si
on l'enlève de son milieu naturel, qui est la chanson, qui dure
finalement le temps d'une engueulade et d'une question dans un manège
! eh bien je pense qu'instantanément il se dédouble, ou se
triplouble, entre le policier de la chanson, avec son uniforme
imaginaire et sa moustache imaginaire, le policier qui un jour m'a
vraiment disputée dans un manège avec des yeux progressivement de
plus en plus attendris de comprendre qu'il se passait quelque chose
de beau, qu'il était venu interrompre, et la voix policière dans ma
tête qui me dit que voyons je ne devrais pas faire ça ou ça, que
c'est inconnu, que ça ne se fait pas, que d'ailleurs j'ai du
travail.. bref, que c'est interdit par la police de ma tête. Si je
les secoue ensemble et que je leur demande ce qui se passe avant et
après..
eh
bien j'imagine qu'ils me répondent qu'avant, il est arrivé tout ce
qu'il arrive aux gens qui deviennent rigides, donc une des mille
façons de transformer un enfant tendre et étonné en personne rasée
de près non par goût mais par peur.
Et
après, eh bien j'aime bien l'imaginer, je crois que c'est le cas à
chaque fois que je chante cette chanson, je le vois allongé dans
son lit les yeux ouverts et brillants dans le noir, au bord de cette
hésitation, comme s'il avait peur que même le fait de balancer un
peu le fasse tomber. Je l'imagine avec cette émotion ressurgie, un
peu douloureuse, l'envie de se retrouver à la place des pirates,
d'être du côté de ceux qui se permettent les choses.. cette petite
douleur surtout de voir qu'il y en a d'autres qui acceptent ce qui
est imprévisible, tordu. C'est ça je crois qui est dérangeant, qui
fait qu'on range vite ça dans la case de l'inacceptable, parce qu'on
a peur de ce que ça peut ouvrir comme boîte, si on se met à
considérer vraiment que peut-être c'est un peu joli.
Voilà
ce que je m'y réponds, mais tu peux choisir d'y répondre ce que tu
veux - la chanson elle t'appartient aussi, donc ton policier de la
chanson.. eh bien il fait ce que tu imagines qu'il fait, avant et
après !
Parlant
de bêtises, en regardant en arrière, il y a-t-il des choses que
vous regrettez avoir faites parce qu’elles se sont avérées avoir
des conséquences regrettables et/ou imprévues?
Oui,
terriblement. Cette légereté dont je parle, je la regarde aussi en
partie du dehors. C'est pour ça que je suis les trois personnages à
la fois, et aussi le manège entier finalement, et même la bouteille
de vin ! J'aime bien célebrer l'exploration, l'idée qu'on cherche
ses propres limites, que ce qu'on appelle "le terrain de jeu"
est quand meme souvent bien plus large que ce qu'on nous a raconté.
Si tu me poses la question à titre personnel, il me semble que cette
exploration a été à la fois très importante, constitutrice et
même salvatrice, et en même temps très risquée, parce que rien
n'était pavé, qu'il n'y avait ni modèle ni panneaux de
signalisation pendant longtemps parfois, alors ça m'est arrivée de
faire des choses stupides. ça a été des leçons importantes,
parfois, et d'autres fois juste des choses difficiles. Dans ces cas
là, on se met soi-même un bon gros panneau de signalisation.
Un
critique a dit à votre sujet que « Camille
Hardouin n’a pas la prétention d’écrire pour représenter
quelqu’un d’autre qu’elle-même ».
Si c'est vrai, est-ce que les identités et les jeux de rôles —
la Demoiselle Inconnue, les jeunes pirates du manège — sont
pour vous un autre moyen de parler de vous-même?
En
tout cas je parle du monde depuis mon propre telescope ! Souvent
j'aimerais pouvoir emprunter le regard de chaque créature vivante ,
et
c'est ça aussi cette soif des propositions artistiques diverses
d'ailleurs,
c'est
si fabuleux de pouvoir non seulement regarder quelque chose d'inconnu
ou de nouveau ou d'imaginaire, qu'on nous offre, mais aussi de
regarder cette chose par le regard de la personne qui l'offre. On
voit et la chose et le regard! c'est fabuleux quand même !
Donc
parler de mon expérience du monde, c'est plutôt pour dire un
regard, oui, comme si je pouvais poser une question, est ce que pour
vous aussi c'est ça? J'ai l'impression de visiter avec étonnement
des zones émotionnelles du monde et d'essayer de les décrire le
plus simplement possible. C'est une manière de montrer ou de tendre
quelque chose à quelqu'un, comme un cadeau - tu as vu, ça? c'est
étrange, ou, c'est beau, non?
Quand
aux figures qui apparaissent parfois dans mes histoires, comme la
Bergère d'Oubli ou la Zombie, ou l'Etrange Petite Sirène, elles
viennent incarner quelque chose, comme dans une performance où on
vient dire quelque chose avec un geste, avec une situation. Elles
viennent aussi parce qu'on a besoin d'elles je crois. La Bergère
d'Oubli, avec ses bras qui viennent voler les cauchemars, j'avais
très besoin qu'elle apparaisse en tout cas.
Pour
les pirates de la chanson, eh bien ils sont faits de souvenirs, de
mots, d'émotions.. Ils se sont incarnés à partir de tout ce qu'ils
ont pu trouver pour fabriquer leur corps et leurs habits ! Je pense
que les chansons, comme les rêves, viennent boire à plein
d'endroits, et aussi qu'ils ont une part de mystère qui leur est
propre et qui les rend si attachants.
Quand
à mon nom, La Demoiselle inconnue, c'était celui qu'on m'avait
donné un jour où j'étais montée sur scène sans me présenter. Un
artiste que j'étais allée voir en concert avait invité quelqu'un
du public, au hasard, à venir chanter une chanson, et j'avais sauté
sur scène, et ce sont les articles qui parlaient du concert qui
m'ont baptisée, la demoiselle inconnue. J'ai trouvé ça très beau
et c'est comme ça que ça a commencé. Plus tard, c'est un peu comme
un masque qui est tombé, ou plutôt comme un costume que j'ai
enlevé. Avec à la fois un peu de tristesse et une envie de
sincérité, de se montrer aussi vrai, vulnérable. C'est un nom que
j'aimais beaucoup.
La
poétesse américaine Louise Glück a affirmé que « la
source de l’art est l’expérience, le produit fini est la vérité,
et l’artiste, examinant le véritable,
intervient constamment pour gérer, mentir et supprimer, toujours au
service de la vérité ». Pensez-vous
que c’est votre travail en tant qu’artiste de fabriquer
de petits mensonges pour arriver à la vérité?
Tout d'abord, en tant qu'artiste, je
fais justement très attention à bien contourner la notion de
pensée, d'idées, et même de devoir, ou de travail . Je crois aussi
que j'utilise assez rarement la notion de vérité, même si
peut-être que ça revient au même, parce que souvent je préfère
la notion de justesse. Qu'est ce qui est juste? C'est ça qui
m'intéresse.
La vérité, ça m'apparait justement
un peu.. scientifique, pas au sens curieux mais au sens froid, sûr
de lui, du terme, comme lorsqu'on dit "la réalité",
souvent pour parler seulement d'une part de la réalité, alors je me
suis mise à être un peu allergique à ces mots, simplement parce
que j'ai souvent l'impression que ce sont des mots qui viennent
couper les possibles - pas que ce soit la faute des mots eux mêmes,
les pauvres, qui se font lancer dans les possibles des gens.
Mais oui, bien-sûr, il y a une forme
de traduction pour pouvoir dire le réel. Parfois parler d'une
tempête, c'est la meilleure manière de parler d'une rencontre, par
exemple.
Laisser la chanson dire ce qu'elle dit,
c'est aussi accepter qu'elle passe par des formes imprévisibles
d'incarnation. Que ce soit des notes, des mots, des images, des
détours dans l'histoire.. Il y a une très grande liberté, c'est
aussi pour ça que c'est si intéressant de regarder une chanson
naitre. En quelque sorte, je crois qu'elle ne se nourrit pas
seulement de différents réels, ou de l'imaginaire, ou même des
mensonges, mais qu'elle vient surtout les enrichir - les révéler,
avec plus de facettes et de connexions que ce qu'on pouvait voir au
départ.
Merci infiniment de vous être
intéressés aux Pirates, c'est une chanson si joyeuse, je l'aime
beaucoup et j'espère qu'elle vous plait aussi. J'espère qu'un jour
je viendrai la chanter à Toronto !!
Camille Hardouin
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