15 déc. 2017

LES PÂTES ALPHABET



hier nuit
il y avait une petite fille à la maison

on a mangé des pâtes alphabet
j'ai dit imagine tous les mots qu'on avale
imagine si on ne pouvait parler qu'avec les lettres qu'on a mangées
elle a dit imagine si on mange des gros mots

on a rigolé

elle dessinait une carte aux trésors avec tellement d'inscriptions
je pensais au moment où elle apprenait à lire et à écrire
elle faisait tous les E à l'envers
sans doute les pates alphabet avaient réparé ça

en ce moment je continue de ne pas savoir parler
je ne sais pas si ce n'est pas un temps à parler - trop froid pour se découvrir
ou si simplement je n'en ai pas l'habitude
surement j'ai plus de méfiance que ce que j'imagine
et la nuit comme la petite fille, et les autres somnambules
je plonge mon manteau dans l'eau et dans le fer
pour en faire une armure
on ne sait pas, on fait et on défait tellement de choses pendant la nuit

comme dans ma chanson, quand je veux parler, je vais vers le rivage
et j'envoie des bouteilles vides

c'est comme si le temps passait mais n'effaçait rien
l'inscription toujours là sur la plage, les vagues
effacent d'autres choses
changent les coquillages d'ordre.

elle m'avait amené une guitare pour l'accorder
elle m'a offert un médiator coupé dans du carton
je lui ai joué de la harpe et de la guitare pour s'endormir
et j'ai mis des livres autour d'elle pour la border

plus tard elle est revenue tirer sur ma manche
parce que le sommeil ne venait pas
j'ai posé la plume et fermé l'encrier
dit bonne nuit à mes personnages qui restent pourtant toujours les yeux ouverts

et je suis allée me coucher avec elle
je rigolais parce qu'elle dormait avec des mouvements incohérents
j'avais envie de me relever pour la dessiner avec le coude ou le genou en l'air
mais je m'endormais aussi

ce matin je l'ai amenée à l'école
chansons pour se réveiller pains au chocolat chaussettes de la veille et mandarine glissée dans les trésors de ses poches
mouchoirs, scoubidous, sachets de sucre volés sur les comptoirs où les adultes boivent du café

les militaires encadraient l'école avec leurs mitraillettes et l'air de protéger la France
et elle, qui me paraissait pourtant si petite, 
pendant que je m'inquiétais de la voir à côté des fusils chargés
 elle m'a demandé comment ils faisaient pour tenir leurs bonnets de travers

sonnerie - une vague d'enfants inconnus me l'a reprise
je suis rentrée en fredonnant et en soufflant dans mes mains

ce midi je mange des pâtes alphabet
avec l'impression tenace
que je peux mieux parler
que d'habitude

1 commentaire:

Anonyme a dit…

moi aussi je continue de ne pas savoir trouvé les mots pour décrire l'émotion ressentie d'avoir lu ce beau texte
MERCI