16 janv. 2017

Journal de Bord - Marilou initials



Raconter, raconter les objets oubliés et la mémoire des gestes retrouvés ou nés pour l'occasion, raconter la fatigue comme une tempête rieuse et le chemin pourtant des mélodies, raconter ce grand bateau de 48h d'hommages à Gainsbourg, rempli de copains et dans lequel je suis montée comme en stop, au dernier moment, pas sûre de la direction mais sûre de la liberté d'être là plutôt qu'ailleurs enfouie, raconter que je cherchais un angle un bout de couverture un fil à tirer, et que j'ai pris le fil des Variations sur Marilou et que tout s'est mis à dégringoler comme une douche de mots et une soif qui ne pouvait pas s'arrêter, raconter B Initials, les clochettes d'argent qui scintillaient, le zip du Levis, et le nom de l'écrivain d'Alice qui revenait, j'avais l'impression d'avoir fumé toutes les cigarettes du monde et que la fumée sortait de ma bouche, mais c'était les mots, la vapeur des mots seulement, la guitare de Jl qui comme souvent dégoulinait avec aisance comme un funambule habitué au vertige qui fait sa petite danse differente à chaque fois, il n'y avait plus qu'à courir le rejoindre, voilà, raconter ça pendant deux jours, la confiance entre musiciens comme le vertige d'une danse, la confiance en tous, raconter que j'ai fini par donner la becquée à la cuillère à toute la salle d'un gateau d'anniversaire surgi dont il n'était pas question qu'il n'y en ait pas pour tout le monde, raconter les chansons nées dans les coins, surgies de ceux que je ne connaissais pas bien comme des cadeaux, raconter que la tempête tanguait dans les virages, j'oubliais de manger, je voulais parler et chanter et écouter seulement, raconter comment dans ces 48h je me suis échappée pour une autre fête, raconter en vrac le melange de gene et de joie, tous ces gens rencontrés avec qui on avançait comme en mettant le pied sur la glace, en cherchant le vrai chemin, et parfois ce n'est pas celui qu'on a imaginé, et c'est comme ça, j'oublais tout sur tous les comptoirs, j'oubliais mes manteaux et mes résolutions, j'oubliais de cacher ce qui doit l'être et je m'en fichais, d'avoir tout au vent, de dire les revirements du désir qu'on ne comprend jamais, je voulais être polie mais je n'y arrivais pas, je disais la joie des tourbillons, je voulais parler ce langage que personne ne comprend jamais sauf une fois tous les 20 ans, tous les 20 000 Kilomètres, sauf une fois, de temps en temps, et ce soir là c'était possible, le langage des chaussures sur les pavés, le langage des questions d'enfants, le langage des parfums et des sommeils, le langage coloré d'une manière que je ne saurai pas dire ici, le langage qui vous attrappe et qui vous hante, ce langage là. Ce n'est plus un rythme même c'est une incantation. La langage comme celui des soupirs peut-être le plus proche mais pas de la même famille, ce langage comme plus vrai et plus indefinissable, plus insaisissable sauf par ceux qui ont des mains de jongleurs sans même le savoir, et qui le prennent et l'étirent et jouent avec et dedans comme une matière naturelle. Raconter la pause sur le quai avant que le bateau de Gainsbourg ne reparte, et l'abattement d'une maladie comme un oiseau de proie, un oiseau qui me mangerait et me sauverait à la fois, chaque fois que le travail se pousse, chaque fois que la pression retombe, raconter l'intensité des fièvres et des tremblements et du corps qui ne refuse plus de tomber, raconter les verres d'eau et tout qui s'épuise, qui ressort, qui capitule, tout qui s'effondre, raconter la benediction de cet effondrement qui fait que je peux me relever ensuite propre et surprise, sans rien à porter, soulagée et affamée; et puis raconter le retour dans le bateau, les mille copains encore accueillants, certains étaient repartis, d'autres étaient arrivés, tous chantaient et ça a repris, les variations sur Marilou, l'Amour Monstre et l'eau de Seltz, toutes les chansons et les voix qui se découvraient et s'emmêlaient, le gateau, les haltes, les envies de se parler qui restaient de loin, les yeux des chats qui brillaient dans le noir, les pas prudents sur la glace à chercher les routes, les errances dans le froid et tous les manteaux echangés, les plateaux de fromage et les chansons surgies de nulle part, les spectateurs étaient partis mais nous on était restés, on s'était fait une maison jusqu'à l'aube, on se chantait tout ce qu'on savait, ça ne s'épuisait plus, je me souviens de toutes les discussions et de tous les regards, je me souviens de toutes les chansons, je me souviens de tous les regards de chats dans le noir et de tous les pointillés qui naissaient mais qu'on ne franchissait pas, je me souviens d'être rentrée avec un bouquet de fleurs en plastiques et une écharpe qui n'était pas la mienne, je me disais que je ne pourrais jamais me souvenir et jamais raconter, mais le rythme du bateau était toujours là sous mes pieds et je m'endormais dans ce rythme, couverte de parfums et de notes trainantes, couverte de la grâce de cette liberté reprise, plus d'emploi du temps, plus que l'envie de rester là et de me répandre tous ces mots sur la tête, plus que l'envie de raconter, même sans pouvoir rien expliquer, tout ce qui avait surgi et s'était incarné là, raconter, raconter.  

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