7 oct. 2017

MERCI TOULOUSE !



Merci, Toulouse

Tu sais, ça fait quelques fois maintenant que je viens te voir, chaque fois des rendez-vous espérés, attendus, chaque fois tremblante et hésitant sur les ingrédients à mettre, les couleurs dans le bouquet que j'ai préparé pour toi. Cette fois là, j'arrivais un peu changée, on était trois au lieu de un, la guitare que j'aime tant plus souvent reposée sur le socle, plus souvent les mains libres, les bras qui parlaient en même temps que la bouche, plus souvent les mots débordants au milieu d'autres mots, poussant comme une paroi les autres phrases prévues et s'insérant au milieu, rivière de mots soudain ouverte et tout aussi soudain tue, se déversant entière et généreuse avant de reprendre un virage abrupte pour retomber sur la route du départ, et c'était ça qu'on avait prévu ensemble, un autre circuit, à trois. Je n'avais même pas pensé que ça pouvait être une surprise pour toi, une appréhension même tu m’as avoué ensuite, je ne pouvais pas deviner ça parce que si je regarde dans le dictionnaire au mot "confiance" c'est le visage de Louise et JL que je vois, parce que c'est eux qui m'ont appris à respirer et à lâcher la rampe, et toutes les fois enfermée avec eux dans un petit studio dans une chambre dans un sous-sol dans une salle dans une maison, à ne pas s'apercevoir des murs autour puisque tout ce qu'on voyait c'était les images des chansons, ce qu'on faisait c'était s'entrainer ensemble, à trois sur le même fil, eux pour créer un paysage qui changeait sans cesse et moi pour marcher dessus sans peur.

Tu sais, mes tremblements c'est parce que le spectacle était nouveau, parce que je perdais mes habitudes, parce que j’avais passé des années à modeler et remodeler la pâte de mes concerts toute seule, dans une espèce de tournée toujours et jamais interrompue, à apprendre et à polir mes instruments, pas seulement la guitare ou, selon les périodes, la barbie, l'archet, le téléphone, la paire de fesse en plastique, le bracelet, mais aussi le silence, le présent, les gens les objets les histoires qui se trouvent la autour, et ça me rassurait, comme des objets qui ne bougeaient pas dans la chambre, les années (les amants) et les émotions passant, mais les livres s'empilant à la même place, la même petite lampe rouge industrielle sur la même table du même côté du même lit.
Ce qui me faisait trembler, c’est facile de le voir maintenant, c'était la nouveauté, la petite fille frondeuse s'engueulant avec le policier  rouillé dans ma tête, et j'avais soif et peur en même temps, je regardais cette potion d'Alice qu'on avait pourtant mijotée nous-même, mais l'étiquette se brouillait et je lisais parfois BOIS et parfois FUIT.
J'ai pourtant l'habitude des escadrons rouillés de ma tête, ceux qui pédalent sur des vélos mais à l'envers, ceux qui font semblant d'être la police mais qui en fait vont la nuit, masqués, recouvrir tous les mots d’envie par des messages d'alerte. la solution c'est souvent d'être l'archeologue de mes propres vestiges et j'enquete, je regarde sous l'encre, je décolle et retourne l'étiquette, j'interroge les habitants du bocal. Je finis souvent par boire le truc en me demandant si je vais mourir ou me transformer. Souvent se transformer c'est accepter de mourir en partie, c'est ça qui fait peur aux pédaleurs à reculons.
Mais quelques jours avant, Louise et JL m'avaient parlé, dans une langue que je pouvais comprendre, parlé des peurs et des transformations, parlé des mots et parlé surtout des paysages qui naissaient, et qu'au lieu de jouer avec un fil, un équilibre, du silence, j'allais maintenant jouer avec un paysage, tout un paysage qui bougeait.
Et arrivée sur la scène, je découvrais que je savais faire, que c'était nouveau et familier à la fois, que j'adorais la surprise et la bienveillance de ces paysages qui gonflaient et s'ouvraient et s'éteignaient et se transformaient.

En arrivant déjà pour poser les affaires j'avais retrouvé le bois de la scène du bijou, l'impression toujours d'être dans un ventre de baleine, les chaises et le plancher avalés par hasard se promenant avec nous sous l'océan. La salle était hantée, joliment hantée, et je parlais en souterrain avec les voix qui me reconnaissaient, qui m'accueillaient. Retrouver ce lieu connu, habité déjà, et ce petit mélange parfait de réel et d'imaginaire, je me suis soudain sentie revenir à la maison, revenir avec deux amis en plus, et ça m'a collé sur la bouche un sourire à la superglue.
 On avait aussi laissé de la superglue cachée derrière une poutre, au cas où les ampoules apparues à chaque doigts la première heure de la première répet fassent des leurs, puisque cet été j'avais surtout des mains qui dessinaient, qui avaient perdu les habitudes de la guitare, et que soudain de replonger assidument dans la révision des morceaux de vingts minutes sur les vieilles cordes de ma Martin, mes doigts ont pris peur et gonflé directement tous leurs airbags. J'avais peur que ça pète mais je ne disais rien, et le lendemain matin j'avais repéré sur d'obscurs forums de musiciens, entre les questionnements affolés et les remarques sexistes, une technique de sauvetage au cas ou : se coller de la superglue sur les doigts pour faire une pellicule de fausse peau et pouvoir assurer la suite du concert. J'espérais ne pas avoir à recourir à cette technique, en partie à cause des trucs stupides lus sur le même forum, en partie par peur de mettre des produits pas très recommandables dans mon systeme immunitairo-ampoulable, mais surtout parce qu'avec ma maladresse légendaire je pensais qu'il y avait de grandes chances que je me colle les doigts ENTRE EUX et que je me retrouve avec un résultat plus hilarant qu'efficace. Mais gloire, joie, soulagement, je n'ai pas eu à recourir à cette technique et j'ai pu jouer en appréciant sans trop de douleur le son légèrement différent de mes doigts ampoulés sur les cordes de ma vieille Martin.
On a été accueillis à bras ouverts, les bras boisés et peuplés de fantômes du lieu, donc, mais aussi les bras d'Emma et Pascal, qui nous accueillaient chez eux, du chien Doug monté sur ressort, les bras des tartes aux champignons et des glaces aux cacahuètes, les bras de Kevin téléphonant à tous les journaux du coin pour prévenir de notre passage, tous jonglant avec notre drôle d'organisation joyeusement, les bras de Dorian faisant le son d'une main et demi et la lumière de la moitié qui restait, les bras d'Aude et Simon amenant les amplis, le stand, la contrebasse pour éviter aux notres de devoir se multiplier par trois dans le train, les bras versant des tisanes au miel, trouvant du citron et de la propolis, préparant les lits, déchirant les billets, ouvrant les portes, conduisant jusqu'à nous, et puis applaudissant. Merci tous les bras.

Le premier soir, la salle etait remplie, on avait retravaillé jusque tard, les dessins sur les tshirts à peine secs, la chemise tout juste repassée, les tremblements frais, les regards en coin dans les coulisses, remplis eux aussi. A peine montée sur scène cette joie m'arrivant en pleine face, la joie oubliée d'être là sur scène, la joie nouvelle d'y être tous les trois, d'avoir préparé ce cadeau ensemble, de l'offrir enfin.

Le deuxième soir j'étais plus fébrile je crois- j'étais si fatiguée et la salle était moins pleine et j'avais l'impression de jouer moitié pour les vivants moitié pour les fantômes et encore une moitié (j'aime ce qui déborde) pour d'autres mondes encore ce qui me plaisait beaucoup mais me rendait aussi plus vulnérable aux tremblements de terre. On avait travaillé dans l'après midi encore une nouvelle version de cette drôle de chose qu'est le mélange de J'veux Pas, chanson de supplique, de refus de la fin de l'amour, avec des petits machins volés à Don't explain, la sublime chanson de Billie Holiday qui me fait toujours penser à l'expression "douleur exquise", à cause de la précision du refus et à cause de la beauté de la chanson. Dans cette nouvelle version je décris moi aussi ce que je pense des explications pas demandées, je dis décrire mais c'est plutôt crier tout court, crier en tapant partout sur le micro sur ma tête et sur la contrebasse, et peut-être c'était le fait qu'on m'avait dit ce jour là plein de choses que je ne voulais pas entendre, des histoires de mort, simplement parce que j'aurais voulu que ce ne soit pas vrai. Je repensais à ces phrases que j'avais lues récemment, je ne me souvenais plus où, qui disaient que la mort n'était pas un vieux squelette sage ou cruel mais une petite fille distraite, qui fauchait au hasard, maladroitement. Je crois au contraire à la sagesse grave et impulsive des petites filles mais cette idée m'avait quand même fait réfléchir. Pour ça aussi sans doute je chantais plus penchée sur mon fil, plus sujette aux changements du vent, et je trouvais ça bien quand-même cette tempête, je voyais Louise et JL avec leurs animaux peints sur le ventre, parfois c'est comme si ils marchaient suspendus avec moi et parfois c'était comme les deux piliers du fil. Le deuxième soir aussi on a fait ce drôle de rappel où en passant par Mansfield Tya on courait attraper Genet par la main, Louise et Jean Laurent improvisant et soulignant les phrases d'une couleur que je ne pouvais pas prévoir, à ce moment là c'est comme si on avait tous les trois mangé la tempête, comme si on était nous-mêmes une forme de petite tempête. On a chanté pour les morts encore après ça. ça a pas l'air marrant dit comme ça mais c'était bien .
Le troisième soir c'était encore différent - l'après midi était farcie de soleil et d'interviews, et le soir la salle était pleine et on avait rajouté un petit détour dans le rappel pour parler aussi de la fierté difficilement conquise et si importante. Ensuite c'est flou, même si je carburais à la camomille avec à peine du rhum dedans pour faire une espèce de grog-bancal, c'est flou parce qu'il y avait tant de gens, des gens avec des questions des histoires des calins des cadeaux, des gens rencontrés pour la première fois et des amis pas vus depuis longtemps, et j'ai l'impression d'avoir à peine cligné des yeux et de m'être retrouvée à Paris, l'accueil incroyable du Bijou, les souvenirs de toutes les choses prêtées dites et offertes tournoyant en manège dans ma tête, un clignement et la nuit avait passé, on était soudain le soir suivant à Paris, louise et moi au milieu des gens qui dansaient et tournoyaient devant le concert que JL donnait le soir suivant avec son autre groupe, La Machine. Il y avait des guirlandes de loupiotes de toutes les couleurs, des vieux canapés, on servait des cocktails de goyave et de rosé. Dans les bras de son père un bébé dansait en le tenant par les cordons du sweet. Moi je regardais Louise qui dansait et Jan-Laurent qui sautait d'un baiser de son amoureuse à un solo de guitare sur la scène et je trouvais que j'étais la personne la plus chanceuse du monde.

Alors Merci infiniment, le Bijou, d'avoir ouvert la route de ce nouveau concert, de nous avoir fait confiance et de nous avoir accueillis avec une espèce de jungle de bienveillance indémêlable,
Merci à vous tellement d’être venus voir notre premier tour de piste,
et merci JL et Louise,
Louise peut-être une des personnes les plus familières et les plus étonnantes, il faudrait que je fasse tout un texte sur Louise, sur les courants maritimes qui circulent entre nos deux mondes, sur sa manière d'être attentive et frontale, de réaliser tous ses rêves les uns après les autres comme on tire dans les ballons à la fête foraine, de jouer avec les mots et avec tout, sa manière de comprendre l'intérieur d'un texte en creux et de me regarder pour voir si j'ai entendu la même chose, de reflechir et puis de prendre la clarinette ou le synthé ou n'importe quoi qui traine à portée de main et de faire exactement la mélodie juste au moment juste, pas trop, pas plus, juste assez, et du balancier qui l'anime, un équilibre d'acrobate qui est aussi une baguette de sourcier puisqu'elle n'avance que lorsqu'elle est convaincu de la beauté du sol et de la pirouette, alors il n'y a plus qu'à la suivre en courant pour trouver la source, c'est facile.
Et puis Jean-Laurent il faudrait un texte aussi pour parler de sa joie, de ses doigts qui font jaillir des idées et des rivières de notes, qui se jette dans la musique comme dans une possibilité parmi mille mais s'engouffrant toujours dans le chemin le plus joyeux, faisant des petites mélodies virtuoses en les servant sur la table comme s'il s'agissait de rien du tout, un petit plat vite fait préparé, un apéritif juste comme ça, j’ai essayé un petit truc étonnant, vous m'en direz des nouvelles, goutez moi ça, et nous on goute tout évidemment , et tout ce qu'il fait m'apprend quelque chose et m'oblige à respirer et à sortir de ce dont j'ai l'habitude et à découvrir que je peux marcher aussi hors du scaphandre auquel je ne sais plus pourquoi je me tenais des deux mains.
C’est vrai avec eux deux heureusement j'ai pu apprendre à lâcher la main de mes chansons, les nouvelles, celles à peine nées, disant oui tout de suite, et prêtes à tout, et les anciennes râlant, grognant, vieillardes fustigeant tout changement la canne en l'air, avant de se laisser porter quand même et de prendre goût au toboggan, perdant dix ans d'un coup au premier dénivelé. Alors j'avais peur de tomber oui c'est vrai mais c'était avant, avant d'essayer, avant de prendre goût au vertige, avant d'avoir accepté que j’avais comme tout le monde des pieds de funambules, avant de trouver ça encore plus drôle, encore plus enivrant, avant d'agrandir mes bras mes pieds ma voix, avant d'aimer ça que l'horizon soit plus loin et plus proche à la fois, avant d'accepter que j'étais beaucoup plus petite et beaucoup plus grande que ce que je croyais, comme tout le monde

et merci à la peur et à la soif, la peur qui souvent vous regarde vous débattre et puis se calme en même temps que vous, et vous regarde accepter et capituler et vous approcher et dire oui, j’ai peur, oui, apprends-moi, alors la peur se penche et elle vous apprend, et pendant tout ce temps c’est la soif qui vous accompagne qui vous pousse qui vous encourage qui vous rassure qui vous appelle, qui vous fait des signes de l’autre côté en disant ouhou ! mais oui ! traverse !

Alors voilà on a traversé ou commencé à traverser tous les trois, et la première montée sur le bateau c’était là toulouse, et ça me rend tellement contente que je me mets à faire des métaphores maritimes, ce qui chez moi est un signe imparable de bonne humeur, et j’espère qu’on vous verra alors, poursuis-je avec des petits trémoussements joyeux de capitaine en plastique d’un bateau imaginaire, sur une des îles où on va accoster ; hier c’était Ludres, ce soir c’est Lyon, bientôt c’est Paris Bordeaux et ailleurs si vous nous invitez.

Alors avec quelques océans de retard, merci Toulouse, vraiment, merci. Et à bientôt, le reste du cosmos.

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