Ce soir, c'était la première de
l'Etrange Petite Sirène
J'ai mis si longtemps à pouvoir porter
ce texte, ce spectacle
que j'ai écrit pourtant très
naturellement, il y a des années maintenant
Je me souviens que j'avais une semaine à attendre dans une maison qui n'était pas la mienne
et que j'en avais profité pour écrire ce spectacle.
comme toujours les chansons savent
mieux que nous ce que nous sommes
et ce que nous avons à dire
mais moi j'ai du faire tant, tant de
détours,
et devenir tous les personnages
du conte
les tritons, les sirènes, les marins
amoureux, le capitaine noyé, l'Etrange Petite Sirène, le Marin
Conteur, la Créature près du rivage, et même le second qui
débouche la bouteille dans la cave,
avant de pouvoir dire les uns après
les autres tous les mots cette histoire.
La veille, consciencieusement, pour la répétition, je suis allée me maquiller, le rouge sous les yeux, le
rouge sur les joues, l'ombre de la barbe, les cernes, la fatigue et
l'amour qu'on voit sous la peau déjà; je cherchais, armée d'un pot
de blanc, de rouges à lèvres et de crayons noirs, cette tête que
j'avais si souvent vue dans la mienne, pour me transformer en ça,
quelque chose entre lui et moi, ce marin-conteur qui me ressemble et
qui commence par parler de son amour infini pour les histoires, et
qui ne veut plus toucher terre.
Il n'y avait plus de temps pour se
démaquiller si je voulais être à l'heure alors j'ai décidé de
faire peur aux gens dans le métro plutôt que d'être en retard, ils
ont ri ou grommelé ou sursauté ou tourné la tête, comme souvent,
mais moi j'étais contente d'arriver sur place déjà prête, je
savais comment m'habiller et pourquoi, et surtout j'avais besoin de
m'habituer à ça, être ce drôle de personnage qui m'avait hanté
si longtemps et que je laissais exister maintenant, lui aussi.
J'avais invité deux regards des plus
bienveillants et talentueux que je connaisse, et qui m'ont enveloppée
dans tous les conseils, l'élan, l'amour dont j'avais besoin. Je me
sentais comme badigeonnée des pieds à la tête dans de la graisse
de phoque, comme dans l'histoire de Joseph Beuys et de son accident.
Prête à renaître, quoi.
Aujourd'hui
pourtant je ne m'attendais pas à ce séisme du réveil. Les
tremblements comme après une chose terrible et l'envie de me coller
contre tous les autres êtres humains et de respirer doucement
jusqu'à être sûre qu'on allait y arriver, mais il fallait se lever
dans la maison vide et s'habiller pour venir porter ce spectacle, qui
parlait de chercher sa place sans relâche, qui parlait de nager
silencieusement sous la surface, qui parlait de créatures
différentes, que certains jugent légendaires et d'autres
diaboliques. Je pensais à toutes les drôles de créatures de ce
monde, les plus tordues et les plus belles, les plus étranges, ce
drôle de mélange qu'on a, nous les êtres humains, entre attirance
et répulsion les uns pour les autres, qui fait parfois construire
des murs et parfois des ponts. Je me sentais le plus petit pont perdu
du monde sous la tempête mais j'avais mis des années à le
construire alors j'y suis allée, voilà.
Je dois dire que j'étais heureuse que
la naissance se fasse là. Ce drôle de mélange aussi de La
Générale, entre le béton, l'accueil à bras de géants, les
petits coussins et les livres pour les enfants; un monde de
débrouillardise et de travail et de générosité.
J'ai passé l'après midi dans la
cuisine. Je ne pouvais pas m'installer encore et je ne voulais pas
rester sans rien faire alors j'ai demandé si je pouvais aider
puisque j'avais deux mains vides et on me les a remplies avec une
cuillère et une casserole en me demandant de faire du chocolat chaud
pour tous les enfants qui arrivaient. ça m'allait très bien. J'ai
entrepris de faire ce chocolat le plus longuement lentement
tendrement du monde, le chocolat le plus doucement mélangé
tordument imaginé et savoureusement préparé que je puisse
imaginer, voilà. Quand tout a été prêt je l'ai amené au bar et
puis je suis allée, comme la veille, peindre mes pieds et mes mains
de blanc et retrouver ce drôle de visage triste du marin conteur,
qui se précisait cette fois, le rouge sous les yeux, le rouge sur
les joues, les cernes, l'ombre de la barbe, la pâleur, cet entre
deux de papier mâché et de corps vivant.
Mathilde qui a fait la vidéo, qui a
donné vie à tous ces personnages, qui leur a trouvé des gestes,
des corps, tout cet univers d'encres lentement versées qui n'aurait
pas pu exister sans elle, se mordait les doigts parce qu'elle ne
pouvait pas venir mais elle m'envoyait de longs mails remplis
d'encouragement et moi je lui répondais avec tous les détails que
je pouvais.
Maya, qui s'est prise d'amour pour
cette histoire, s'était laissée tomber dedans avec ses obsessions
aquatiques et ressortait régulièrement de l'eau, trempée et
victorieuse, ayant pêché une affiche, puis un livre, puis d'autres
affiches, tout un petit monde à partir de cette histoire qui l'avait
emmenée dans ses filets.
Et puis ça a commencé, moi, j'étais
étrangement calme, avec mon petit marin nerveux dans la peau,
c'était si naturel après avoir été si tortueux, et je disais
toutes ces paroles toutes ces chansons, si j'avais des jambes, si
j'avais des poumons, il était une fois, très loin au large de
l'océan, et je lorgnais en coin la vidéo qui s'animait sous mes
mots, et j'entendais les enfants qui poussaient des oh et des ah et
posaient des questions, les adultes étaient tous sages aussi dans
l'ombre, moi je traversais tout ça en regardant très étonnée
chaque mot et tout le temps qu'il m'avait fallu pour le dire.
Ce soir, je suis donc plus émue que ce
que je voudrais bien voir.
J'étais si heureuse de cette naissance
finalement toute simple que j'ai couru m'offrir une ribambelle de
cadeaux d'eaux et de trésors piratés attrapés un peu partout,
encore toute enveloppée de cette drôle d'histoire, du cadeau de
tous ces yeux et toutes ces oreilles devant moi,
merci, merci, merci,
Merci à vous tous d'être venus.
C'était la première.
Il y en aura une deuxième, une
troisième..
Je voudrais la raconter partout, cette
histoire.
"Mesdames, et .. Messieurs.
L'histoire que je vais vous raconter
maintenant, c'est la plus étrange, que j'ai entendue, dans toute ma
vie... "
à bientôt
Camille Hardouin
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