Chère Ile d'Yeu,
Excuse-moi, j'ai mis longtemps à
t'écrire.
C'est parce que t'es beaucoup trop
belle.
J'ai été un peu impressionnée par
toi, et puis tout a été si vite.
Je veux dire, si vite, depuis qu'on
s'est rencontrées, parce qu'avant, comme avant chaque rencontre,
hein, ça a été un bon gros pédalage dans la boue en se demandant
si on allait arriver quelque part un jour, alors que spécialement
pour toi je m'étais levée à six heures du matin, et j'étais allée
clignoter des yeux dans un wagon immobile, pour me faire un espèce
de petit stromboscope personnel de repos-éveil-repos-éveil
superrapide en attendant le démarrage, bien sage et joyeusement
vaseuse, me demandant vaguement pourquoi au fait ça démarrait pas
trop trop.
Je trépignais depuis au moins la
veille en pensant que j'allais au concert par la mer, la radio de ma
tête radieusement réglée sur bateau-bateau-bateau-bateau-bateau FM
et voilà que coincés à l'aube pour une drôle d'histoire
d'incendie sur les rails commentée en direct par le contrôleur
d'une voix aussi pâteuse qu'un dentifrice mal embouché, on
démarrait pas, on démarrait plus. A force de pas démarrer, on a
loupé l'heure du bus qui devait nous amener au bateau qui devait
nous amener à toi , et figure toi que le bateau pour venir te voir,
yen a que deux, et le deuxième partait trop tard, beaucoup trop
tard.
Donc quand on a eu fini de passer mille
heures à la gare puis mille heures dans le train qui faisait un
détour pour éviter l'incendie, puis mille heures dans le bus avec
le conducteur qui voulait mettre ma guitare chérie dans la soute que
j'ai rigolé nerveusement avant de lui jeter mon regard laser
préféré, en grommelant une formule magique de politesse de l'ordre de "c'est même pas envisageable",
ben on s'est donc retrouvé en face de toi, à te voir presque mais
sans pouvoir t'atteindre.
Moi je voulais prendre un hélico mais
Clément (qui fait le son si t'as suivi mes aventures) a dit que
c'était pas raisonnable mais moi j'ai dit qu'au diable la raison
pourvu qu'on ait le flacon, mais il m'a dit va dormir, alors on est
restés sur la plage à se promener, en croisant des bonhommes de
sables, à regarder les oyats, à imaginer qu'on avait des ailes et
qu'on rigolait de tant d'eau devant nous.
En fait ça allait comme punition
d'être coincés à regarder la mer, la mer qui me manque tant ici
dans la ville, mais c'est vrai que le deuxième et dernier bateau de
la journée partait si tard que je commençais à me demander si
j'arriverai ou pas après mon propre concert et je me disais que dans
ces cas là il fallait vite que j'invente une formule magique pour
pouvoir chanter rétroactivement.
Finalement à force d'attendre
romantiquement sur le sable en criant ton nom, Ile d'Yeu, le bateau
est venu, et quelqu'un de l'équipe nous attendait en rigolant de ce
retard invraisemblable, et moi je regardais ton port dans la nuit et
les vagues qui se jetaient jusqu'à toi, et je pensais que t'étais
tellement belle et que j'avais tellement de chance d'être là.
Alors on a couru dans la salle et j'ai
dit bonjour à tout le monde plus vite que l'éclair,
bonjourbonjour-je-me-dépeche-parce-que-j'ai-zero-minutes-de-preparation-au-lieu-de-cent-vingt-mais-je-vous-dirai-beaucoup-plus-de-syllabes-après-le-concert-mais-là-ben-juste-bonjour-hein,
et puis j'ai tout de suite enlevé mes chaussures et enfilé ma robe
et pouf on a fait les balances les plus rapides de l'Ouest et déjà
les spectateurs arrivaient, je me suis concentrée en accéléré
comme du lait concentré qu'on aurait jeté dans un trou noir par
exemple, j'ai dit Bonjour à Giedré qui jouait le même soir, sa
petite tête blonde et sa robe fleurie et ses refrains au CIF javel
dans les loges, mais on était tellement pressés que j'ai du dire
une seule syllabe, genre "Bjour". C'était forcément pas
la façon la plus sereine de se présenter mais c'était rigolo
quand même.
Et puis la traversée du concert s'est
bien passée, j'étais encore un peu sonnée de t'avoir tant attendue
puis rencontrée si vite, mais ça a rien empêché, au contraire, ça
tourbillonnait, tu t'attendais pas tellement, et moi non plus, à ce
que ce soit si beau, alors qu'on se connaissait si peu.
J'ai tellement couru que j'ai plus
beaucoup de souvenirs, je me souviens des gens si calmes, de ma
petite hésitation, je n'avais pas pu préparer mon bateau comme
d'habitude et je perds si vite mes repères, mais à peine dans l'eau
comme toujours tout revenait, l'eau était là partout, il n'y avait
plus qu'à remuer les bras et déjà c'était une nage, déjà le
voyage commençait.
La musique parfois c'est facile, ça
engloutit tout, le temps les tristesses et les espoirs trop rapides,
ça vient dedans et ça fait de cent cratères désolés un seul lac
clair. Alors voilà le concert était comme ça.
Pour m'en remettre de cette drôle de
course, je crois que tout le public m'a payé un verre, que j'ai fort
mal refusé, heureusement que c'était une petite salle. Tout le
monde a été adorable. De plus en plus flouement adorable.
Je me souviens d'histoires d'amours
perdus et de débat sur quel whisky pour quelle musique, de clameurs
pour les saxophones, et d'accordéons moitié inventés moitié
réparés, de conseils de mamans pour les enfants perdus de l'ile (tu
vas tout droit et t'arrives à la mer et après tu fais le tour)
d'ingrédient secrets et de radios et de vélos et de chuchotements
et de merveilleux cafés qui prennent vie, et d'un gateau vegan à
tomber par terre dans les carottes rapées. J'étais ravie, ravie
d'être là si floue au milieu de toi tout autour.
Oh le lendemain matin, chère Ile
d'Yeu, je n'en croyais pas mes yeux de je me réveiller avec toi qui
était si belle, comment j'avais donc fait pour me retrouver comme ça dans un si beau réveil, et malgré tout ce qui m'attendait dans la grande
pulsation de la ville, je pensais joyeusement que le seul bateau qui
pouvait m'y ramener ne partait que le soir, et que j'avais toute une
journée à passer avec toi, choyée dans tes bras de mer et de vieux
chateaux, écarquillant les yeux devant chaque virage qui découvrait
un paysage de plus, la petite crique où un enfant jetait des
pierres, les bateaux qui s'ennuyaient doucement dans leur petite
berceuse de droite à gauche, la mer soudain révélée à l'infini,
heureusement que j'avais du rab de souffle parce que tu me l'as volé
plusieurs fois, je voulais tant revenir avec quelque chose que j'ai
embarqué un bonnet en laine du coin pour passer l'hiver dedans,
avant de rencontrer les moutons qui me l'avaient filé, merci les
moutons, merci, essayé de sympathiser mais je parle visiblement
très mal le mouton parce qu'ils étaient pas motiv-motiv pour me répondre, retournant
à la salle pour manger des trucs plus délicieux les uns que les
autres, dégoulinant toutes les routes sur le vélo que l'équipe
nous avait ultra-gentiment loués pour qu'on puisse te visiter, et je
t'assure qu'on s'est bien ébahis, qu'on a poussé des oh des ah,
qu'on voulait prendre des photos chaque fois qu'on clignait des yeux,
qu'on voulait habiter derrière chaque porte, les bleues, les jaunes,
et celles avec les petites mains en bronze.
Tu sais, l'Ile d'Yeu, on s'est pas
connues longtemps, et je sais pas c'est quoi ta situation dans la
vie, et je te demande ça vraiment prudemment hein, parce que t'es
tellement belle, je sais pas, tout le monde doit te tourner autour.
Mais j'ai l'impression, l'impression , hein, c'est toujours subjectif
je sais, mais qu'on s'entendait bien, quand même, que la première
nuit a été magique et que le jour d'après aussi, comme quand on a
rallumé la lumière et que l'autre est toujours aussi beau alors que
toutes les couleurs ont changé, et qu'on s'ébahit de chaque
contour, qu'on voudrait tout goûter.
Alors, Ile d'Yeu, je voulais te dire,
si tu veux qu'on se revoie, enfin tu sais, je suis d'accord, voilà. Dans mes yeux il y a toi, tout le temps. La mer et les moutons et le
vieux chateau et la maison aux volets bleus. Et puis, si la vie fait
qu'on se revoit pas, je vais garder les images de cette nuit et de
cette journée là comme un trésor, un de ceux qui donnent du
souffle et du courage, un de ceux qui étalent un paysage devant les
pas quand on croit qu'on est coincés, il suffit de s'en souvenir et
hop, tout s'élargit, et on peut respirer à nouveau. Le caillou que
tu m'as donnée sur ta plage, il est tout près, quand je le prends
dans ma main, c'est comme un portail, tout s'élargit et devient
bleu, rocailleux, ancien et sans cesse renouvellé, puisque sans
cesse lavé par la mer. Ca me fait entendre le bruit de tes vagues
comme un souffle dans mon oreille.
Alors, ben oui, merci, le festival Les Berniques en folie, et puis, merci, chère et magnifique Ile d'Yeu, vraiment, timidement, amoureusement, merci.
1 commentaire:
C'est merveilleux quand , une très belle poète, trouve les mots pour parler de l'amour que l'on peu avoir pour un petit bout de terre.
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