Merci de m'avoir fait passer trois jours à faire des concerts souterrains, dans vos cocons de vieilles pierres hantées, merci À Thou Bout d'Chant
pour les papillotes au chocolat prophétiques, les discussions sur les
puzzles à deux pièces, le bleu des choses inutiles, pour les lumières et
les écoutes attentives, les yeux brillants dans le noir, les marches
du palais chantées lentement lentement à quatre mains, pour se remettre
de l'oubli, et l'invitation à ressusciter des chanteuses pop avec
tellement de freestyle en yaourt que j'ai gardé mon bonnet ouais ouais
t'as vu; merci Martin Luminet
pour ces chansons d'amour éclatantes de timidité, petits refrains pop
qui se prennent les pieds dans leurs propres tapis volants.
(crédit photo : Yann Gibert)
Merci L'Echandole Théâtre
pour ton château qui donnait envie de jouer avec chaque pièce, la cour
qui résonnait, le canapé qui crânait dans l'arrière scène, les pianos et
les orgues planquées dans les alcôves. C'est évidemment là que je me
suis blottie pour réfléchir à la manière dont j'allais finir mon
concert, en ce moment il bouge tellement ce concert, il donne des coups
de pieds dans la peau de mon ventre, il ne se tient pas tranquille.
Alors je le laissais faire, je l'écoutais jusqu'au dernier moment, je
lui disais : qu'est ce que tu veux aujourd'hui, qu'est ce qu'on va bien
fabriquer ensemble dans ce drôle de château? Depuis des jours je
détricotais nerveusement deux chansons de Léonard Cohen, deux chansons
qui me hantaient sans trouver exactement leur voix. Je voulais parler de
sa mort et je voulais chanter ses chansons, je ne trouvais pas encore
exactement comment creuser mais je refusais d'abandonner, je sentais le
filon réclamer d'être trouvé sous la roche, et je donnais des petits
coups de pioche, trouvant quelques éclats, comme des indices.
Alors ça a du être ça, sans doute, les éclats dans la roche, les détours
et les passages secrets du vieux château qui me donnaient envie
d'emmener le public partout, et puis les envolées d' Emilie Zoé
qui ouvrait le concert, je dis ouvrir parce que j' ai jamais vu une
pleine lune s'inviter aussi facilement sous la terre, elle chantait et
la musique cognait et c'était bien le vertige d'une nuit sur les toits,
dans la ville, qui nous prenait.
(crédit photo : Julien Mudry )
Oui, ça a du être tout ça
ensemble, la fièvre et la toux que je me coltinais, les détours du vieux
château, et ce besoin de chanter les mots du poète qui venait de
mourir, j'ai regardé les fauteuils rouges qui allaient se remplir de
gens vivants d'une minute à l'autre, j'ai regardé la scène où je faisais
mes petites danses avec toutes ces rivières de mots à venir, depuis ma
petite bouche de chat fatigué, fiévreux, malade, qui devait inventer
d'autres chemins, et alors j'ai pensé à cette terrifiante semaine
dernière, la couronne que porterait la peur, les angoisses revenues
comme des rôdeurs malveillants, et à la mort de Leonard, et alors, oui,
c'est sans doute comme ça que c'est venu, cette drôle d'idée, cette
drôle d'audace, à la fin de tout ce voyage de concert, de demander au
public de venir et de se serrer contre moi, pour qu'on chante Suzanne.
Parce que je voulais chanter pour toutes les rivières et les oranges du
sud, pour tous ceux qui marchent sur l'eau, pour les gens qu'on croit à
demi-fous, pour les confiances qui se révèlent comme un rire,
aveuglément, et ça je ne pouvais le faire que de tout près, comme
certaines paroles qui font qu'on se rapproche, qu'on colle les chaleurs
pour que tous les mots puissent venir.
(crédit photo : Julien Mudry )
Jusqu'au dernier
moment je ne savais pas si j'oserai le faire, mais finalement c'était si
évident, je les ai vus quitter leurs fauteuils rouges et monter sur la
scène, ils se sont assis là serrés, et moi j'ai poussé les guitares les
micros, j'ai gardé l'electrique contre moi et doucement j'ai chanté
Suzanne, la voix d'Emilie Zoé qui murmurait avec moi, je chantais ces
mots un peu titubante, je disais Leonard n'existe plus mais ses chansons
existeront toujours, et on voyait la robe de Suzanne, celle du
Salvation Army Counter, et on se promenait avec elle à travers les
algues, son sourire emmêlé dans les plumes. J'étais tellement ahurie que
ça marche cette chose là, que les gens soient vraiment venus me
rejoindre sur scène, qu'on chante Suzanne doucement ensemble, que j'ai
fini agenouillée et franchement émue. Alors j'ai chanté une dernière
chanson, une chanson d'oubli, une chanson pour les morts, avant de
partir, depuis les coulisses j'entendais les gens redescendre lentement
de la scène, et moi je me suis allongée par terre, haletante, à regarder
le plafond du chateau, à me demander si je pouvais bien avoir envie de
rire ou de pleurer.
(crédit photo : Julien Mudry )
Plus tard, avec l'équipe, on a fait
un deuxième repas, comme des enfants très contents de décider de faire
une chose sans autre raison que leur plaisir, et on a fini le crumble en
parlant tracteurs à double remorques, permis poids lourds, tournées
croisées, gravure de cuivre et performances dans les tapettes à rats.
J'aurai bien mis tout ce petit monde dans ma propre petite remorque,
moi, tant je me sentais en famille, reconnaissante de cet accueil
patient, joyeux, de cette marmite qui n'en finissait pas, de toute cette
bienveillance tranquille.
Le lendemain matin, la fièvre
et la toux étaient toujours là, le chat sauvage dans ma gorge était
devenu tout un troupeau de tigres et je me demandais si j'allais pouvoir
dire quoi que ce soit comme consonne sans sonner comme une publicité
pour les médicaments contre le rhume. On est arrivés au Théâtre de Poche,
la cave était magnifique, et moi je commençais à me demander si je
pourrai monter sur scène tout court, mon cerveau frigorifié et
commençant à avoir des ampoules rien qu'à l'idée de n'importe quelle
idée, mes forces se faisant la malle tous les trois refrains pendant les
balances, mais tout le monde était patient et toujours on s'y
remettait, du mieux qu'on pouvait . C'était Biel/ Bienne, qui nous
accueillait, Biel et Bienne c'est les deux noms de la même ville, dans
deux langues, mais je le savais pas alors j'ai dit "Biel sur Bienne" ce
qui a fait rigoler tout le public.
L'équipe était faite de petits lutins malicieux, déposant des plantes et des médicaments dans mes loges, nous faisant croire à des passages secrets, nous parlant des esprits des Pierres. Il y en avait tant, bien-sûr. Je suis restée emmitouflée dans ma loge, grelottant avec tous les chauffages de la maison à fond, me demandant bien comment tout ça allait tenir ensemble. Mais les courants m'ont repris, juste avant de monter sur scène, j'ai dénoué mes cheveux en même temps que mes inquiétudes et me suis jetée dedans, reconnaissante de l'eau qui revenait, de tout qui ressurgissait, les marées de l'amour, les méandres du désir, les sables mouvants, les grimaces dans le noir, et l'oubli, et la fierté, et à nouveau j'ai proposé à tous de venir me rejoindre sur scène pour le deuxième rappel, et à nouveau ils sont venus, les plus timides se calant au premier rang, les autres assis près de moi comme des enfants sages. Je m'étais perchée sur l'ampli puisque la scène était vraiment petite pour nous porter tous, et de là on a chanté Suzanne ensemble, je voyais les yeux brillants dans l'Ombre, je déroulais la chanson, la petite danse de Suzanne, le thé venu de Chine, la rivière qui corrige les irrégularités de la confiance, et tu voudrais la suivre, tu voudrais la suivre aveuglément.. A nouveau, les algues, les sortilèges, à nouveau l'émotion et la Terre d'Oubli, à nouveau m'enfuir doucement et m'allonger dans l'arrière scène, haletante de fatigue et d'émotion.
L'équipe était faite de petits lutins malicieux, déposant des plantes et des médicaments dans mes loges, nous faisant croire à des passages secrets, nous parlant des esprits des Pierres. Il y en avait tant, bien-sûr. Je suis restée emmitouflée dans ma loge, grelottant avec tous les chauffages de la maison à fond, me demandant bien comment tout ça allait tenir ensemble. Mais les courants m'ont repris, juste avant de monter sur scène, j'ai dénoué mes cheveux en même temps que mes inquiétudes et me suis jetée dedans, reconnaissante de l'eau qui revenait, de tout qui ressurgissait, les marées de l'amour, les méandres du désir, les sables mouvants, les grimaces dans le noir, et l'oubli, et la fierté, et à nouveau j'ai proposé à tous de venir me rejoindre sur scène pour le deuxième rappel, et à nouveau ils sont venus, les plus timides se calant au premier rang, les autres assis près de moi comme des enfants sages. Je m'étais perchée sur l'ampli puisque la scène était vraiment petite pour nous porter tous, et de là on a chanté Suzanne ensemble, je voyais les yeux brillants dans l'Ombre, je déroulais la chanson, la petite danse de Suzanne, le thé venu de Chine, la rivière qui corrige les irrégularités de la confiance, et tu voudrais la suivre, tu voudrais la suivre aveuglément.. A nouveau, les algues, les sortilèges, à nouveau l'émotion et la Terre d'Oubli, à nouveau m'enfuir doucement et m'allonger dans l'arrière scène, haletante de fatigue et d'émotion.
(crédit photo : Marynelle Debétaz )
Ensuite il a
fallu longtemps pour se remettre, je n'en revenais pas d'avoir pu
chanter deux heures malgré la fièvre, et je restais là, heureuse, un peu
flottante, à faire des petites révérences papillonnantes d'un visage
timide à un autre. Une jeune fille m'a confié que je n'avais pas joué
la chanson qu'elle préférait, alors j'ai demandé laquelle, et puis si on
pouvait éteindre la musique, et puis on est remontées sur scène avec
ses amis et j'ai joué l'Absente, pour qu'elle puisse partir avec celle
qu'elle était venue chercher. Une autre chanteuse aux cheveux bleus,
qui était venue poussée par la curiosité et le hasard, m'a offert une
pierre magnifique, et bleue, bien-sûr. Et puis on nous a enlevés, et
emmenés dans la ville, entendre les échos des autres fêtes, s'échouer
dans un restaurant, toutes les guirlandes allumées dans le froid, devant
la fondue la plus géante que j'ai jamais vue. On a tout avalé, et puis
on est repartis, les guitares sur le dos, à travers la ville pour
s'échouer quelques heures dans nos lits, croisant les statues qui
veillaient sur la nuit, les statues farceuses et impressionnantes, la
diablesse verte, la guerrière, les sirènes, et ce chat dont je jurerais
qu'il m'a fait un clin d'oeil.
Comment pourrai-je donc te
dire, avec certitude, si je n'ai pas tout rêvé, si je ne suis pas
restée dans mon lit depuis trois jours, si ce n'était pas la
fièvre, seule, qui me murmurait à l'oreille que je voyais des statues,
chantait au piano à quatre mains, lisait des prophéties dans du
chocolat, entendait des histoires de miel et de danger, voyais des
diablesses vertes, et finissait tous mes concerts, à cinquante personnes
serrées les unes contre les autres, émues des mots de quelqu'un qui
n'existait plus?
(crédit photo : Julien Mudry )
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire