9 nov. 2017

MERCI MADAME ARTHUR

Merci pour l'incroyable concert d'hier soir , Madame Arthur !

Merci pour les plumes de boa dans les loges, pour le lourd rideau rouge, pour le mélange de visages aimés et découverts, pour l'écrin fou de cette salle, pour les escaliers de bois, pour le silence impressionnant, sauf cet éclat de voix, au moment parfait, au milieu de mon poème, quand je parle des dames qu'on entend passer. Merci pour les chansons émouvantes et à hurler de rire de Morian et Corrine, merci pour le Courage des Oiseaux où je suis venue avec du rab de texte à dire à toute vitesse, où le micro ne marchait plus mais où je me suis collée à celui de Corrine en battant des ailes, merci pour l'accueil débordant de bienveillance, merci pour la fantaisie, merci pour les bonnes nouvelles entre la loge et les toilettes, j'ai des images en kaleidoscope de toute la soirée, fragments de toutes les couleurs, la contrebasse contre laquelle je venais me coller pour chanter, la clarinette de Louise qui décolle sur Au Bord, Sages comme des auvages croisés avec leurs habits chatoyants juste avant leur entrée en scène au Divan, l'archet de JL attentif sur la Louve à ma guitare electrique plus calme que d'habitude, images des yeux ecarquillés de mes amis ou de leur sourire dans le noir, les mots des inconnus à mon oreille, Corrine collant les débouches-chiottes au plafond ou susurrant des mots en corset noir dans l'oreille de Morian en gants dorés pour Dalida, les talons de Morian sur les tables, et son sublime "Que je t'aime", toute émotion et sourire géant, la salle remplie du sol au plafond des gens qui reprenaient du johnny mais en étant super étonnés et émus.
 Et au milieu de tout ça, notre concert, chaque chanson déroulée avec un grand sourire, je crois que c'était d'avoir eu si peur qu'il y ait trop de bruit et d'avoir entendu le silence au bout des quarante premières secondes, c'était aussi la joie d'être là dans cette salle qui racontait tellement d'histoires joyeuses et anciennes et grivoises et fantaisistes, des histoires de fête et de liberté, et la joie de rejouer à Paris, la gratitude renouvelée d'entendre Louise et JL se promener dans mes chansons, les dessiner, les agrandir, les transformer, oui, les ouvrir, avant le concert quelqu'un m'a dit être venue exprès de Marseille, après le concert quelqu'un m'a dit "merci vous m'avez déplié", je crois que c'est à ce moment là que j'ai eu conscience que la petite douleur dans mes joues c'était à force de sourire tellement depuis le début de la soirée.

Deux amies m'ont raccompagnée, on est rentrées en marchant dans Montmartre, en se racontant des histoires de voyages et d'amour et de hasards merveilleux. On a bu un thé et parlé des peintres, des fenêtres, des animaux, et de la gratitude - on a lu ce texte merveilleux d'Oliver Sachs sur la gratitude d'avoir été en vie, lorsqu'il a appris sa mort imminente. Et puis on a fabriqué un lit avec les couvertures et les manteaux qui restaient, moi aussi j'ai empilé les manteaux et le chat sur le mien, on a dormi quelques heures, et me voilà réveillée, et vous écrivant pour vous dire, que c'était fou, que merci, que merci tellement.

comme j'ai l'impression de m'être endormie au milieu de vous tous,
voici aussi le dernier paragraphe du texte d'Oliver Sachs :

"I cannot pretend i am without fear. But my predominant feeling is one of gratitude. I have loved and been loved; I have been given much, and I have given something in return; I have read and traveled and thought and written. I have had an intercourse with the world, the special intercourse of writers and readers.
Above all, I have been a sentient being, a thinking animal, on this beautiful planet, and that in itself has been an enormous privilege and adventure. "

("je ne peux pas prétendre ne pas avoir peur. Mais mon sentiment prédominant est celui de la gratitude. J'ai aimé et j'ai été aimé; on m'a donné beaucoup, et j'ai donné quelque chose en retour; j'ai eu une discussion avec la vie _ (on dit aussi "intercourse" pour dire une relation sexuelle et j'aime aussi tellement cette traduction : j'ai eu une relation d'amour avec la vie, un échange sexuel avec la vie, il faudrait dire un partage intime, quelque chose comme ça") _ j'ai eu un rapport intime avec la vie, le rapport intime et spécial de ceux qui écrivent et lisent.
Par dessus tout, j'ai été un être conscient, un animal pensant, sur cette magnifique planète, et cela a été en soi un immense privilège et une immense aventure. ")

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