10 nov. 2016

La naissance de l'Etrange Petite Sirène



Ce soir, c'était la première de l'Etrange Petite Sirène

J'ai mis si longtemps à pouvoir porter ce texte, ce spectacle

que j'ai écrit pourtant très naturellement, il y a des années maintenant 
Je me souviens que j'avais une semaine à attendre dans une maison qui n'était pas la mienne
et que j'en avais profité pour écrire ce spectacle.

comme toujours les chansons savent mieux que nous ce que nous sommes
et ce que nous avons à dire

mais moi j'ai du faire tant, tant de détours,
et devenir tous les personnages du conte
les tritons, les sirènes, les marins amoureux, le capitaine noyé, l'Etrange Petite Sirène, le Marin Conteur, la Créature près du rivage, et même le second qui débouche la bouteille dans la cave,
avant de pouvoir dire les uns après les autres tous les mots cette histoire.




La veille, consciencieusement, pour la répétition, je suis allée me maquiller, le rouge sous les yeux, le rouge sur les joues, l'ombre de la barbe, les cernes, la fatigue et l'amour qu'on voit sous la peau déjà; je cherchais, armée d'un pot de blanc, de rouges à lèvres et de crayons noirs, cette tête que j'avais si souvent vue dans la mienne, pour me transformer en ça, quelque chose entre lui et moi, ce marin-conteur qui me ressemble et qui commence par parler de son amour infini pour les histoires, et qui ne veut plus toucher terre.

Il n'y avait plus de temps pour se démaquiller si je voulais être à l'heure alors j'ai décidé de faire peur aux gens dans le métro plutôt que d'être en retard, ils ont ri ou grommelé ou sursauté ou tourné la tête, comme souvent, mais moi j'étais contente d'arriver sur place déjà prête, je savais comment m'habiller et pourquoi, et surtout j'avais besoin de m'habituer à ça, être ce drôle de personnage qui m'avait hanté si longtemps et que je laissais exister maintenant, lui aussi.

J'avais invité deux regards des plus bienveillants et talentueux que je connaisse, et qui m'ont enveloppée dans tous les conseils, l'élan, l'amour dont j'avais besoin. Je me sentais comme badigeonnée des pieds à la tête dans de la graisse de phoque, comme dans l'histoire de Joseph Beuys et de son accident. Prête à renaître, quoi.


     Aujourd'hui pourtant je ne m'attendais pas à ce séisme du réveil. Les tremblements comme après une chose terrible et l'envie de me coller contre tous les autres êtres humains et de respirer doucement jusqu'à être sûre qu'on allait y arriver, mais il fallait se lever dans la maison vide et s'habiller pour venir porter ce spectacle, qui parlait de chercher sa place sans relâche, qui parlait de nager silencieusement sous la surface, qui parlait de créatures différentes, que certains jugent légendaires et d'autres diaboliques. Je pensais à toutes les drôles de créatures de ce monde, les plus tordues et les plus belles, les plus étranges, ce drôle de mélange qu'on a, nous les êtres humains, entre attirance et répulsion les uns pour les autres, qui fait parfois construire des murs et parfois des ponts. Je me sentais le plus petit pont perdu du monde sous la tempête mais j'avais mis des années à le construire alors j'y suis allée, voilà.


Je dois dire que j'étais heureuse que la naissance se fasse là. Ce drôle de mélange aussi de La Générale, entre le béton, l'accueil à bras de géants, les petits coussins et les livres pour les enfants; un monde de débrouillardise et de travail et de générosité.
J'ai passé l'après midi dans la cuisine. Je ne pouvais pas m'installer encore et je ne voulais pas rester sans rien faire alors j'ai demandé si je pouvais aider puisque j'avais deux mains vides et on me les a remplies avec une cuillère et une casserole en me demandant de faire du chocolat chaud pour tous les enfants qui arrivaient. ça m'allait très bien. J'ai entrepris de faire ce chocolat le plus longuement lentement tendrement du monde, le chocolat le plus doucement mélangé tordument imaginé et savoureusement préparé que je puisse imaginer, voilà. Quand tout a été prêt je l'ai amené au bar et puis je suis allée, comme la veille, peindre mes pieds et mes mains de blanc et retrouver ce drôle de visage triste du marin conteur, qui se précisait cette fois, le rouge sous les yeux, le rouge sur les joues, les cernes, l'ombre de la barbe, la pâleur, cet entre deux de papier mâché et de corps vivant.

Mathilde qui a fait la vidéo, qui a donné vie à tous ces personnages, qui leur a trouvé des gestes, des corps, tout cet univers d'encres lentement versées qui n'aurait pas pu exister sans elle, se mordait les doigts parce qu'elle ne pouvait pas venir mais elle m'envoyait de longs mails remplis d'encouragement et moi je lui répondais avec tous les détails que je pouvais.

Maya, qui s'est prise d'amour pour cette histoire, s'était laissée tomber dedans avec ses obsessions aquatiques et ressortait régulièrement de l'eau, trempée et victorieuse, ayant pêché une affiche, puis un livre, puis d'autres affiches, tout un petit monde à partir de cette histoire qui l'avait emmenée dans ses filets.

Et puis ça a commencé, moi, j'étais étrangement calme, avec mon petit marin nerveux dans la peau, c'était si naturel après avoir été si tortueux, et je disais toutes ces paroles toutes ces chansons, si j'avais des jambes, si j'avais des poumons, il était une fois, très loin au large de l'océan, et je lorgnais en coin la vidéo qui s'animait sous mes mots, et j'entendais les enfants qui poussaient des oh et des ah et posaient des questions, les adultes étaient tous sages aussi dans l'ombre, moi je traversais tout ça en regardant très étonnée chaque mot et tout le temps qu'il m'avait fallu pour le dire. 



Ce soir, je suis donc plus émue que ce que je voudrais bien voir.
J'étais si heureuse de cette naissance finalement toute simple que j'ai couru m'offrir une ribambelle de cadeaux d'eaux et de trésors piratés attrapés un peu partout, encore toute enveloppée de cette drôle d'histoire, du cadeau de tous ces yeux et toutes ces oreilles devant moi,

merci, merci, merci,

Merci à vous tous d'être venus.
C'était la première.
Il y en aura une deuxième, une troisième..

Je voudrais la raconter partout, cette histoire.

"Mesdames, et .. Messieurs.

L'histoire que je vais vous raconter maintenant, c'est la plus étrange, que j'ai entendue, dans toute ma vie... "

à bientôt

Camille Hardouin






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