24 mars 2016

Merci, Noisy, Longueau

 Je me souviens, j'avais attaché mes cheveux, j'avais mis une jupe d'or, j'avais mis un bustier noir. J'aimais bien cette tenue qui me faisait un corps étrange, des bras longs, et je faisais encore plus de gestes, dès que mes mains s'échappaient de la guitare, et l'ombre en faisait des gestes démesurés.

A la fin du concert, je m'étais assise au bord de la scène. J'avais baissé le volume de la guitare et j'avais demandé si les gens m'entendaient. Alors j'avais dit La Bergère d'Oubli. Encore une fois, déployé la grande créature marchant sur les toits de la ville, tressant les cauchemars en un long bouquet, s'en allant les garder sur la colline. Je pensais aux coeurs tordus des hommes. Je pensais aux blessures pas cicatrisées de Novembre et à celles oubliées et à celles à venir. C'était il y a dix-sept jours. 

J'avais tout de même commencé par bien rigoler, entamant la tournée à Longueau, abritée par le copain Pierrot, celui de la chanson, celui qui dit, dans un sourire, hein, et une équipe accueillante du même bois, qui méritaient quatorze refrains du même genre; me demandant un peu quand même, comment j'allais fildeferrer mes petites mélodies après les introductions qui jonglaient entre légumes peints et casseroles nudistes, les deux faisant office d'orifices fantaisistes en hommage plutôt bourré à la journée du droit des femmes, avec blindtest au flutiau et descente dans la cave en cas de victoire où on se faisait (parait-il) fouetter avec des poireaux. Par Batman. J'étais tellement contente de remettre les pieds dans ma région d'origine.
Sûre de la bienveillance des trajectoires et de l'invitation, j'ai donc remonté mon bustier bravement, et me suis avancée, à peine cachée, le temps d'être un peu plus stable, dans mon habituel bleu de travail, qui sert tout à la fois d'habit de scène, de pyjama, de grigri, et de refuge royal. Tout le trajet s'est bien passé, je lançais des sorts sans être trop sûre, étonnée de les voir exploser en couleurs, oscillant entre mon impatience naturelle et le hors-temps de cette parole là. J'ai traversé enfin, gravissant tout ce qui se trouve au bord, pour chanter à pleine voix les déserts, les masques d'or, les larmes qu'il ne faut pas retenir, alors même qu'il n'y a plus rien dedans. Je regardais les tables et je m'avançais, et je pensais à la mer Rouge qui ne s'écarte pas toujours, et dans laquelle il faut plonger parfois, et tenter de ressortir vivant, trempé jusqu'aux os.


A Noisy, j'embarquais pour trois jours. Avant de me construire une petite maison, murs imaginaires tracés sur le sol avec mes pieds nus, j'ai donc tout de suite vérifié la perméabilité de mes frégates: oui, c'était possible, de s'asseoir au bord, et de s'engloutir, alors j'avais choisi la Bergère d'Oubli, ce drôle de rappel qui résonnait partout, qui me faisait trembler à chaque fois. 
Voilà, je n'avais pas encore dit merci, Longueau, Noisy, de m'avoir accueilli, avec tout mon vaisseau d'histoires, de sources et de créatures.
 Celle là, la voleuse de cauchemards, gardant son troupeau, me manque: depuis quelques jours, elle a allongé ses grands pas jusque Bruxelles. C'est son rôle, marcher sur les toits, même sans connaitre ni le coeur des hommes, ni leur chagrin. Bruxelles, je pense si fort à toi. 


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