3 août 2016

COMMENT JE ME SUIS MARIÉE AVEC MILLE BOUCHES


    C'était la nuit et j'allais partir aux Francos le lendemain matin, et je me réveillais sans cesse, avec des idées soudaines, farfelues ou des morceaux de rêves effilochés qui me couraient entre les doigts, et au milieu de cet enchevêtrement de réel et de dimensions floues, je m'étais souvenue de cette urgence oubliée: la robe !
Il fallait que je me lève, que j'appelle, et qu'on trouve la robe.. Mais non.. c'était le milieu de la nuit.. Il fallait essayer de dormir ou dessiner jusqu'au matin, mais surtout ne pas oublier alors, quand il ferait jour.. la robe.. oui, ce serait beau..

    C'est que je pensais à ce concert dans la Chapelle qui approchait, je dis je pensais mais c'est faux, je palpitais toute entière de ça, je me retournais là dedans comme on espère un rendez-vous, quand on essaye de chasser les images de sa tête pour ne pas déjà appesantir le moment, pour entrer dedans neuve, pour n'avoir pas encore trop écrit dessus. Mais à chaque instant, quand je n'y prenais pas garde, ça me revenait dans la tête, un concert dans la Chapelle..  Ca surgissait et je me relevais de joie dans mon lit, et alors je pensais aussi au dernier jour du festival où on jouerait au théâtre Verdières, et je pensais que dès le lendemain, à peine sortie du train j'allais courir me faufiler parmi les fauteuils pour encourager les copains qui y jouaient, pour vibrer avec eux, mais aussi pour espionner l'odeur du théâtre, prendre les mesures de ma danse à venir.
    Mais le premier concert, ce serait la Chapelle, le troisième jour, et je remuais tout ça dans ma tête avant de replonger dans le sommeil.

    C'est le chantier des Francos qui avait mis l'idée sur la piste, et elle avait petit à petit fait son travail d'idée, trottinant dans ma tête avec tout le zèle désinvolte d'une écuyère lâchant les brides, pour visiter, gracieuse et extatique, tous les recoins du cirque de ma tête.
    L'idée, c'était que dans le cadre des Francofolies, on ferait un petit showcase, presque secret, avec quelques spectateurs, dans un endroit spécial, et qu'on en profiterait pour filmer une chanson, une chanson qui répondrait particulièrement au lieu.
    Ils m'ont envoyé une liste d'endroits. Ils m'ont demandé si je voulais le faire. J'ai répondu par tout un bouquet de merci et un mail plus long que moi-même. Evidemment que je voulais le faire, et chaque endroit me donnait envie d'une chanson différente. Je voulais jouer partout.

    Mais si ça ne devait être qu'une seule chanson, qu'un seul endroit.. Alors, oui, j'étais sûre, c'était MILLE BOUCHES, et c'était la petite chapelle magnifique, cette chapelle où il n'y avait jamais eu de concerts, et je trépignais à l'idée de faire cette chanson d'amour débordante, dévorante, d'amour qui jaillit de partout, qui ne peut pas s'arrêter, qui demande trop, et exactement ce qu'il faut, oui, de la faire dans cet endroit là, dans la chapelle, et même, même, je réfléchissais en écrivant, peut-être même alors de la faire avec une robe blanche, pourquoi pas, oui, ce serait beau..
    J'avais dit ça, et puis j'avais oublié, occupée par les préparatifs de déplacements, la valise, les instruments à préparer, les échos des notes à dérouler, par la nouvelle maison à apprivoiser, et les nouvelles chansons qui me sortaient des doigts.
    Jusqu'à cette nuit là donc, juste avant de partir à la Rochelle, au milieu des petits sommeils sans cesse interrompus, des images hallucinantes, des idées soudaines, morceaux de textes, ou nouveaux T shirts à fabriquer, où ça avait ressurgi : la robe ! Et à demi réveillée j'espérais qu'avec la magie que le chantier des Francos déplie (par la force, par l'habitude, par le muscle, oui, je pense que toute l'équipe du chantier des francos fait régulièrement des haltères de magie. Pour ensuite pouvoir sans effort la porter, l'accompagner sans peine. C'est sûr.), j'ai pensé qu'avec cette magie qui trainait partout, on pouvait imaginer, on pouvait espérer trouver une robe de mariée au dernier moment, même dans la nuit, juste avant le premier jour des Francos.

     Le lendemain matin, encore ensommeillée, j'ai appelé Pauline, la styliste du chantier des Francos. J'ai demandé si elle pouvait encore trouver une robe qui soit presque comme une robe de mariée, mais qu'on ne soit pas sûrs. J'ai dit pas de choucroute hein.  J'ai dit je suis désolée il est si tard mais c'est pour le concert dans la chapelle tu comprends et jamais de ma vie je n'ai eu envie d'une robe de mariée mais là maintenant, ce serait si étrange et beau, est ce que tu crois que tu peux trouver ça? Pauline a dit qu'elle allait essayer. J'ai couru jusqu'au train et je faisais des pirouettes mentales de joie toutes les deux minutes.


    Le matin du vendredi, le jour du concert dans la chapelle, on s'est retrouvés avec Louise et JL, pour répéter et choisir les morceaux qui résonneraient le mieux. Il fallait jouer vingt minutes, peut-être trente.
    Moi malgré la joie folle d'être sur place, et le tourbillon des rencontres, la fièvre de toutes ces musiques mêlées, j'avais depuis quelques jours  un chagrin idiot, pas vraiment d'amour, mais disons, d'amertume, voilà, comme si l'intérieur de mon ventre était devenu une orange, un drôle de fruit vivant, à la pesanteur titubante, tombant tantôt dans le sucré, tantôt dans l'amer, dégoulinant partout, et depuis la veille déjà ça se demandait bien comment faire pour pousser et devenir un arbre plutôt que rester là à être une orange pourrie, idiote. Je disais, le secret, c'est d'aller dans la terre, c'est d'accepter de mourir complètement et de s'ouvrir et de devenir autre chose. Ca ne voulait rien écouter. Louise et JL se resserraient autour de moi et acceptaient avec une grâce dont je ne reviens pas mes détours et des méandres.
    Et puis la veille dans la nuit on avait appris pour l'horreur de Nice et tout était devenu sombre et on s'était réveillés en sanglots. Je ne savais plus comment espérer.

    Mais aujourd'hui il y avait ce cadeau là, le concert dans la chapelle, alors on s'était levés quand même, et retrouvés dans les studios de la Sirène. Et avant de se mettre à répéter je leur avais joué une nouvelle chanson amère qui m'était venue, une chanson de chagrin, de désir, de morsures dans la nuit, pour revenir à eux, comme si j'étais égarée au large du mauvais océan, oui pour reprendre le goût de la musique dans ma bouche, et ça avait marché, l'orange s'était tue et était redevenue un ventre, et j'avais pu les rejoindre, être là avec eux au lieu d'être au loin dans rien du tout,  et tout s'était un peu ouvert, éclairé. On n'avait pas encore vu la chapelle, mais on imaginait chaque morceau à l'intérieur, on se demandait ce qui résonnerait le mieux. On avait envie de jouer longtemps.

    Quand l'heure est venue, on s'est garés et on a poussé la porte. Il n'y avait personne.
C'était magnifique.  


    On a choisi où on s'installerait, on a écouté comment sonnaient les instruments. On était si lourds des nouvelles surgies dans la nuit, mais on savait qu'on jouerait pour ça aussi, on avait choisi les chansons, on ne ferait pas semblant.
    L'équipe de Bleu Moustache, qui filmait la vidéo, était patiente et nous regardait prendre la température, tâter et renifler partout avec nos petites antennes, pour écouter, pour décider ce qui convenait le mieux. Pauline était arrivée, radieuse, sur son vélo, avec de la dentelle blanche qui surgissait de partout, qui débordait du sac posé dans son panier.
    J'hésitais encore un peu. Il n'y avait nulle part où se changer et j'enlevais mon T-shirt pour essayer la robe, mal cachée derrière un poteau, pouffant, un peu gênée, un peu timide, d'être là à demi nue dans cette chapelle vide, d'essayer une robe de mariée dans ces conditions, et je trouvais le moment étrange et parfait.
    Bien-sûr que la robe était merveilleuse, merveilleuse parce qu'on était dans la chapelle, parce qu'on était si lourds et si pleins du besoin de jouer, et je me promenais avec étonnement et joie tout le long de l'allée de la chapelle, pieds nus dans la dentelle. Les spectateurs allaient bientôt venir, j'avais jeté mes chaussures dans un coin, fourré les affaires autre part, et on avait tourné la vidéo.
 On dépliait Mille Bouches, les petites notes de la guitare qui couraient comme de l'eau, l'accordéon, grave et étrange, et mes mots qui venaient, qui résonnaient partout, et nos visages se dépliaient, sur les images on voit ceux de JL et Louise, concentrés et apaisés et graves, et le mien change aussi, à mesure que la chanson vient.

    On a à peine joué les dernières notes, j'ai couru remettre mon vieux jean, et les spectateurs sont entrés, certains attendaient déjà derrière la porte pendant que d'autres erraient dans la ville vers la mauvaise chapelle, quelques personnes étaient entrées par hasard, d'autres avaient attendu ce moment, déjà à l'écoute de ce qui viendrait, et il y avait les patients de l'hopital juste à côté, de l'hôpital de la chapelle, certains étaient assis sans savoir à quoi s'attendre,  d'autres regardaient si intensément, comme pour ne rien oublier jamais, un ou deux s'endormaient le nez sur la chaise, et il y avait aussi ceux dont on ne pouvait pas savoir si ils étaient plus là que les autres, que personne au monde, ou si au contraire, ils étaient loin ailleurs, dans un endroit qu'on ne connaitrait jamais.
Tout ce monde là faisait un inhabituel assemblage, un solidement réel, infiniment émouvant assemblage, grave et léger et vrai et fou à la fois.

    Alors le concert de ce moment là, dans cet endroit là, il a été, comment dire, suspendu.
On jouait Mille Bouches et Au Bord, et les Sables Mouvants qui venaient de naître, et Si Demain et L'endroit qui n'existe pas, et ça résonnait si fort dans tout l'espace, et je jetais ma voix comme un filet mais au lieu de retomber elle restait là haut à résonner et tout me traversait, me guérissait, je regardais tous ces visages et ces corps devant moi et j'avançais dans les mélodies entière, toute donnée, et avant de jouer la Bergère d'Oubli, on s'est arrêtés un instant pour se demander si c'était maintenant qu'il fallait la faire, et Louise m'a dit oui, regarde, c'est maintenant, et c'était vrai, alors j'ai pensé au matin où je m'étais réveillée en sanglots avec les mots de ce poème là dans la bouche, c'est la nuit, je marche sur les toits, je prends tous les cauchemars de la ville...  et alors j'ai parlé doucement, un tout petit peu, de comment ça tanguait dedans et dehors, de la douleur de ce moment là, de ce monde là, je parlais doucement pour ne pas la réveiller, et j'ai dit voilà, on va jouer cette chanson, et doucement on l'a déployée elle aussi, la guitare de JL, la clarinette de Louise. Je marche sur les toits de la ville, je vole doucement les cauchemars, à la place, je mets l'oubli, l'oubli comme cadeau.. 

    Ensuite le concert était soudain fini et malgré les résonnances j'étais si heureuse, si heureuse  et je regardais Louise et JL à côté de moi, j'étais fière qu'ils m'accompagnent, je les voyais sourire et les gens applaudissaient, et puis  l'aumônier qui nous avait accueillis s'est levé soudain,
Il s'est levé et au milieu des applaudissements qui s'éteignaient, surpris, il a fait un discours. Il a parlé des matins où on se réveille et où on apprend des choses si dures, et puis des moments de grâce, des moments suspendus, de la musique qui nous aide à espérer, et il nous a remerciés d'être venus et d'avoir joué, et il m'a remerciée pour ces mots, pour ces chansons. C'était si beau et si inattendu, je crois qu'on a tous failli pleurer.

    Ensuite encore suspendue évidemment j'ai mis des heures à retrouver mes chaussures.

    Je pensais à tous ces gens qui s'étaient mariés là, qui s'y étaient fait enterrer, qui faisaient des prières avec des mots que je connais pas. Je cherchais mes chaussures mais je ne voyais rien, occupée par les échos de la chapelle, secouée et reconnaissante de ce concert fou, je regardais le plafond, avec toutes ces images, et j'entendais encore tous les mots retentir.

    J'avais promis que je raconterai plus, alors voilà.
    J'ai fini par enfin retrouver mes chaussures, ou bien quelqu'un me les a ramenées pendant que je tatonnais, et on est retournés au coeur du festival, plonger nos têtes dans d'autres concerts, les noms des chansons encore sur nos bras, boire d'autres mots, d'autres musiques, d'une scène à l'autre, tombant sur les transats des loges pour reprendre nos souffles, remontant dans la nuit et parlant sans fin.
  
    J'ai vu quelques images ce matin, de la vidéo, de Mille Bouches chantée là, dans la robe blanche, avec les visages concentrés, doux, de Louise et JL à côté de moi.

    Je ne peux pas dire comme j'ai hâte que vous voyiez ça. ça arrive dans quelques jours je crois.

Voilà 

à bientôt

Camille


(edit : le lien vers la vidéo ICI : cliclic  )

1 commentaire:

Norbert Gabriel a dit…

Avant de connaitre la genèse de cette chanson, elle vous prend à coeur et à corps, et ne vous lâche plus...
Et c'est de plus en plus addictif...

Merci mademoiselle.

Norbert Gabriel