18 sept. 2016


Hier soir
je suis revenue sous la pluie avec ma guitare et les fleurs
les roses blanches du spectacle
il pleuvait et j'avais ma combinaison noire et blanche
qui ressemble à un kimono
qui n'est pas du tout imperméable
mes cheveux arc en ciel étaient majoritairement devenus verts
au fil des jours
vert espoir, vert fin de l'été, vert fierté naissante
je les avais tressés et attachés sur ma tête
rien ne flottait devant moi
J'avais demandé à une amie de prendre une photo
pendant que je partais
même si il pleuvait, même si on ne voyait pas bien
parce que dans mon jeu d'anniversaire il y a quelques mois
quand je lui ai demandé, parmi trente personnes, d'inventer quelque chose qu'on vivrait ensemble
ma mère a dit immédiatement :
je sais ce qu'on va faire,
on va descendre de la maison regarder la pleine lune en pyjama,
comme quand tu étais petite.
J'ai fondu devant cette idée
fondu comme du beurre pour un gâteau.
Elle avait rajouté :
ensuite pendant trente pleine lunes,
où qu'on soit toutes les deux,
on se prendra en photo en train de regarder la pleine lune, dehors, en pyjama.
Et tout mon beurre avait fondu encore plus.

Hier soir, c'était la pleine lune
je n'étais pas du tout en pyjama
je sortais du spectacle
du spectacle cannibale de la compagnie dans le Ventre
Rebecca et Elisa nues et magnifiques dans le boudin et la sauce tomate
les textes qui leurs coulaient par la bouche
des morceaux d'elles, des espoirs, des discussions et des horoscopes mélangés
avec la faim dévorante, avec la peur, avec les langues et les conseils d'internet
et moi je surgissais dans l'ombre
dégoulinante de mots
oh j'étais fière tu parles
fière de ma cachette et de participer à la Grande Marmite des Monstres d'Amour
en déversant dessus ma petite tambouille de désirs noirs, tambourinant sous le couvercle
ah oui je me suis beaucoup amusée
je venais pour presque rien et j'avais eu cette cachette en cadeau
ah ça m'avait manqué oui
entendre le souffle de la performance dans ma nuque, qui haletait comme un vieil amant
qui savait bien que j'allais revenir

j'avais envie d'éclater de rire mais j'étais trop fatiguée
j'avais ma combinaison noire qui n'est pas un pyjama mais tout le monde croit que si
en plus j'ai déjà dormi dedans alors ça compte
j'avais dans une main ma guitare adorée
j'avais à l'épaule mon sac lourd lourd
et dans la main qui restait j'avais les fleurs
les neuf roses blanches du spectacle

clac mon amie a pris la photo
abritée sous les vitres du carreau du temple
elle m'a fait coucou de la main
et je suis partie sous la pluie
avec ma guitare, mes fleurs et ma fatigue
depuis des semaines tous les trains du sommeil passaient sous mes yeux sans s'arrêter en gare
le conducteur rayant de la main ma joue pour faire une cerne de plus
et moi, étonnée de n'être pas amère, je les regardais passer en rêvassant
sur les quais du métro j'ai du demander à tout le monde de m'ouvrir les portes
peut-être je devrais faire ça avec les trains du sommeil aussi
montrer mes mains trop encombrées
je ne peux pas ouvrir la porte, pouvez vous, bien sûr,
et plonger reconnaissante dans la discussion curieuse qui s'ensuivrait
est ce que dans le train de mon sommeil aussi
tous ces gens me parleraient de leur guitare oubliée dans un coin
et je leur répondrais chaque fois de la réveiller doucement
ils me diraient comme hier soir qu'ils sont techniciens ou boulangers
le boulanger me montrerait en rigolant la farine sur ses mains
et je lui montrerais la peau dure au bout de mes doigts
et il me dirait de venir à la boulangerie
goûter la deuxième meilleure brioche de paris
peut-être dans les trains du sommeil ils ont aussi des classements pour les brioches
oh ça serait facile de parler jusqu'au petit matin
mais je ne voulais plus de tourbillons, fussent ils de farine, de fatigue et de mains pleines
je voulais poser mes fleurs et réveiller mon chat
je voulais demander aux conducteurs du train du sommeil
si ils avaient une guitare oubliée dans un coin
si ils ne feraient pas mieux de s'arrêter en gare, parfois
le temps de jouer quelques notes
et que je monte,
toquant à la porte avec mes fleurs, ma guitare,
et tous ces monstres d'amours dans la tête ;
et toutes ces questions sur les routes et les virages,
et tous ces secrets qui se préparent en loge,
attachant la dernière pièce du costume,
le cœur battant.

ce matin en me réveillant j'ai retrouvé cette photo de moi sous la pluie
en train de penser à ma maman
qui avait inventé ce jeu pour moi
pour avoir des nouvelles toutes les pleines lunes
de sa fille qui est une hobo ratée du sommeil
qui court partout avec ses sacs
s'inscruste dans les spectacles des copines
parle aux boulangers dans les métros
chante sur les nuits ivres à hurler des prénoms dans la fumée
pour qu'elle se souvienne des nuits petite à descendre en pyjama dans le jardin
des nuits où la maison n'avait pas brûlé
où l'amour était partout
et pour qu'elle se souvienne que les fois où la lune est absente
c'est simplement qu'elle est cachée derrière les nuages
oui, comme mes secrets, dans les loges
attachant la dernière pièce du costume
le cœur battant.


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