Hier soir
je suis revenue sous la pluie avec ma
guitare et les fleurs
les roses blanches du spectacle
il pleuvait et j'avais ma combinaison
noire et blanche
qui ressemble à un kimono
qui n'est pas du tout imperméable
mes cheveux arc en ciel étaient
majoritairement devenus verts
au fil des jours
vert espoir, vert fin de l'été, vert
fierté naissante
je les avais tressés et attachés sur
ma tête
rien ne flottait devant moi
J'avais demandé à une amie de prendre
une photo
pendant que je partais
même si il pleuvait, même si on ne
voyait pas bien
parce que dans mon jeu d'anniversaire
il y a quelques mois
quand je lui ai demandé, parmi trente personnes,
d'inventer quelque chose qu'on vivrait ensemble
ma mère a dit immédiatement :
je sais ce qu'on va faire,
on va descendre de la maison regarder
la pleine lune en pyjama,
comme quand tu étais petite.
J'ai fondu devant cette idée
fondu comme du beurre pour un gâteau.
Elle avait rajouté :
ensuite pendant trente pleine lunes,
où qu'on soit toutes les deux,
on se prendra en photo en train de
regarder la pleine lune, dehors, en pyjama.
Et tout mon beurre avait fondu encore plus.
Hier soir, c'était la pleine lune
je n'étais pas du tout en pyjama
je sortais du spectacle
du spectacle cannibale de la compagnie
dans le Ventre
Rebecca et Elisa nues et magnifiques
dans le boudin et la sauce tomate
les textes qui leurs coulaient par la
bouche
des morceaux d'elles, des espoirs, des
discussions et des horoscopes mélangés
avec la faim dévorante, avec la peur,
avec les langues et les conseils d'internet
et moi je surgissais dans l'ombre
dégoulinante de mots
oh j'étais fière tu parles
fière de ma cachette et de participer
à la Grande Marmite des Monstres d'Amour
en déversant dessus ma petite
tambouille de désirs noirs, tambourinant sous le couvercle
ah oui je me suis beaucoup amusée
je venais pour presque rien et j'avais
eu cette cachette en cadeau
ah ça m'avait manqué oui
entendre le souffle de la performance
dans ma nuque, qui haletait comme un vieil amant
qui savait bien que j'allais revenir
j'avais envie d'éclater de rire mais
j'étais trop fatiguée
j'avais ma combinaison noire qui n'est
pas un pyjama mais tout le monde croit que si
en plus j'ai déjà dormi dedans alors
ça compte
j'avais dans une main ma guitare adorée
j'avais à l'épaule mon sac lourd
lourd
et dans la main qui restait j'avais les
fleurs
les neuf roses blanches du spectacle
clac mon amie a pris la photo
abritée sous les vitres du carreau du
temple
elle m'a fait coucou de la main
et je suis partie sous la pluie
avec ma guitare, mes fleurs et ma
fatigue
depuis des semaines tous les trains du
sommeil passaient sous mes yeux sans s'arrêter en gare
le conducteur rayant de la main ma joue
pour faire une cerne de plus
et moi, étonnée de n'être pas amère,
je les regardais passer en rêvassant
sur les quais du métro j'ai du
demander à tout le monde de m'ouvrir les portes
peut-être je devrais faire ça avec
les trains du sommeil aussi
montrer mes mains trop encombrées
je ne peux pas ouvrir la porte, pouvez
vous, bien sûr,
et plonger reconnaissante dans la
discussion curieuse qui s'ensuivrait
est ce que dans le train de mon sommeil
aussi
tous ces gens me parleraient de leur
guitare oubliée dans un coin
et je leur répondrais chaque fois de
la réveiller doucement
ils me diraient comme hier soir qu'ils
sont techniciens ou boulangers
le boulanger me montrerait en rigolant
la farine sur ses mains
et je lui montrerais la peau dure au
bout de mes doigts
et il me dirait de venir à la
boulangerie
goûter la deuxième meilleure brioche
de paris
peut-être dans les trains du sommeil
ils ont aussi des classements pour les brioches
oh ça serait facile de parler jusqu'au
petit matin
mais je ne voulais plus de tourbillons,
fussent ils de farine, de fatigue et de mains pleines
je voulais poser mes fleurs et
réveiller mon chat
je voulais demander aux conducteurs du
train du sommeil
si ils avaient une guitare oubliée
dans un coin
si ils ne feraient pas mieux de
s'arrêter en gare, parfois
le temps de jouer quelques notes
et que je monte,
toquant à la porte avec mes fleurs, ma
guitare,
et tous ces monstres d'amours dans la
tête ;
et toutes ces questions sur les routes
et les virages,
et tous ces secrets qui se préparent
en loge,
attachant la dernière pièce du
costume,
le cœur battant.
ce matin en me réveillant j'ai
retrouvé cette photo de moi sous la pluie
en train de penser à ma maman
qui avait inventé ce jeu pour moi
pour avoir des nouvelles toutes les
pleines lunes
de sa fille qui est une hobo ratée du
sommeil
qui court partout avec ses sacs
s'inscruste dans les spectacles des
copines
parle aux boulangers dans les métros
chante sur les nuits ivres à hurler
des prénoms dans la fumée
pour qu'elle se souvienne des nuits
petite à descendre en pyjama dans le jardin
des nuits où la maison n'avait pas
brûlé
où l'amour était partout
et pour qu'elle se souvienne que les
fois où la lune est absente
c'est simplement qu'elle est cachée
derrière les nuages
oui, comme mes secrets, dans les loges
attachant la dernière pièce du
costume
le cœur battant.
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