le bruit de l'encre sur le papier
c'est le bruit de la plume
mais dit comme ça on dirait que c'est
léger
alors que c'est quelque chose qui
gratte,
c'est ça le mot qu'on utilise, avec ce
genre de plume : gratter.
gratter comme le chien
qui cherche quelque chose
gratter comme l'ancre au fond de la mer
je m'en fous du jeu de mot pourri
c'est ça ce moment, racler les
profondeurs.
Il n'y a pas longtemps,
un journaliste m'a demandé comment
c'était,
de dessiner ma bd.
J'ai dit que j'avais jamais autant
rigolé la journée
jamais autant cauchemardé pendant la
nuit.
je sens que c'est l'encre, qui gratte
je suis remuée, agitée
on ne peut plus s'approcher de moi
je sursaute et je me recule
c'est un moment
où il faut me laisser tranquille
un moment
sous-marin
pendant que j'encre j'écoute des
fictions à la radio
des gens qui lisent des livres
des polars pour me tenir en haleine et
dessiner des heures de suite
parce que je veux savoir la fin
des histoires de qui a tué qui
et de corps sous les arbres
pendant que ma petite zombie se promène
en rigolant
ou alors des histoires, oui, de
sous-marins, de paysages glacés du Nord de l'europe,
d'espionnage et de vieux flics qui ne
veulent pas s'arrêter de chercher
une fois aussi pendant le dessin j'ai
écouté une longue histoire de traducteur
ce n'était pas une fiction, c'était un documentaire à propos d'un poète
qui traduisait un autre poète depuis des années
c'était magnifique
je crois que son livre est enfin sorti, il y a
quelques jours
il me semble que ça se met ensemble dans
ma tête
un moment sous-marin,
un moment de traduction,
un moment où on trouve ce qui était
caché,
un moment où sous la joyeuse
bizarrerie je comprends aussi la violence d'avoir fait
mon personnage principal
de quelqu'un qui est morte
ou plutôt
vivante et morte à la fois
comme d'habitude je parle avec des mots
qui viennent de me tomber dans les mains
de me pleuvoir dessus
de me venir dedans comme des papiers
publicitaires,
comme d'habitude c'est des mots
empruntés,
volés, trouvés dans les poubelles
rarement achetés moi-même
mélangés ensemble pour faire quelque
chose qui me convient,
qui a l'air de dire sans que moi j'ai
besoin de parler
alors maintenant
que je raconte quelque chose depuis des
mois avec des dessins
en parlant très peu la journée
je peux seulement le décrire comme ça
je rigole beaucoup mais je fais des
cauchemars
ça gratte
c'est quelque chose qui remonte à la
surface
quelque chose qui cherche
quelque chose qui se traduit sans se
décourager, longtemps
mais aussi la chose la plus
farfelue
et
déglinguée
et
effrontée
que j'ai fabriquée
je crois
jamais ça pourrait gratter comme ça
la surface si
yavait pas tous ces bras étonnés qui
font de grands mouvements
tous ces rires sous la couette
toutes ces courses tout nu vers la
baignoire
tous ces verres renversés n'importe
comment
c'est très étonnant pour moi
de passer ce moment à encrer
tout ce que j'ai dessiné
je ne cauchemardais pas pendant les
dessins,
j'étais occupée à traduire
mais maintenant
je regarde
je pense que ça ne fera cauchemarder
personne
je ne sais même pas si ça se verra
que sous les couettes les verres de
champagne
les chaussettes oubliées les karaokés
spontanés
et les slogans rigolos
il y a des sous-marins qui rodent
des bras
qui dépassent de la terre
mais d'ici
je me sens comme le moment
la minute après que le clown ait parlé
on a tellement rigolé la minute
d'avant
et maintenant on entend le silence
de ce qu'il a dit
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